Niffelheim
Épisode 2 : Ô peuple des glaces...



- Je me demande bien où est ce monstre! cracha l'homme, alors qu'il tranchait le vide de sa lourde hallebarde, d'un geste d'énervement qui trahissait sa nervosité.

           Cela faisait maintenant près de six heures qu'ils se trouvaient là, tous les six, au beau milieu de cette immense forêt, les jambes dans la neige jusqu'à mi-cuisse, ralentissant leur progression, déjà des plus lentes malgré leurs pouvoirs.

- Reste tranquille Luung... ce n'est pas en perdant ainsi ton sang-froid que la bête se montrera... lui répondit un autre homme, de constitution cependant beaucoup moins impressionnante que celle du géant à qui il s'adressait.

           Ce fameux Luung tourna la tête, dans un geste des plus lents, en direction de celui qui venait de s'adresser à lui...
           L'homme mesurait facilement plus de deux mètres trente et son faciès des plus ingrat aurait pu même arracher un frisson de dégoût à un grizzli ou à quelque autre créature aussi gargantuesque que lui...
           Son casque de cuir, retenait avec peine son hirsute chevelure grisâtre, que venait rejoindre sa barbe, tout aussi hirsute, et de même couleur.
           Ses yeux de bête, ne laissaient transparaître que de l'agacement et de la rage, ce que la façon nerveuse dont il serrait entre ses incroyables pognes son arme, ne faisait que renforcer.

- Et bien si tu es si malin toi... Explique-nous comment retrouver cette chose, qui ne cesse de nous échapper depuis des heures, prenant un malin plaisir à nous faire tourner en bourrique!!!! grogna Luung, l'écume aux lèvres.

           L'homme à qui il s'adressait esquissa un rapide sourire... En face de lui, un guerrier gigantesque gesticulait dans tous les sens, hurlant et beuglant, l'exhortant, lui qui était "si malin", à trouver un moyen de sortir de ce guêpier.

- Désolé mais mes pouvoirs ne nous serviront à rien ici... je ne peux me téléporter que dans des endroits que j'ai déjà visités... et n'ayant encore jamais mis les pieds dans cette forêt, je me vois dans l'incapacité de vous aider...

           Un troisième homme, beaucoup plus petit, rajouta:
- Hermod, "lebendig wie der Wind" (1) ,a raison, je ne sais pas quelle est cette chose que nous traquons depuis bien des heures maintenant mais une chose est sûre: elle a sur nous un avantage certain...

           Hermod et Luung se tournèrent vers leur équipier, remarquant que lui aussi serrait la garde de son épée de façon quelque peu crispée.
           Car même s'il n'avait jamais été du genre à faire manque de détachement, il n'était tout de même pas habitué à tourner en rond, laissant ainsi monter en lui une certaine impression d'impuissance, qu'il détestait au plus haut point.

- Nous verrons bien, lorsque ses crocs se retrouveront face à ma hache, si elle saura conserver cet "avantage"...grommela un autre, petit, râblé et d'une constitution somme toute bien différente de celle de ses compagnons.

           Comme pour appuyer ses paroles, il enfonça profondément dans le sol enneigé la garde de son arme, presque aussi haute que celui qui la portait, puis fit rouler quelques poils de son épaisse barbe blanche entre ses doigts gantés.
           Hermod, souriant à nouveau, fit écho aux dires de ses amis, de ses compagnons d'armes:

- Tu entends Luung, "höher als die Berge" (2) ? Il ne sert à rien de s'emporter comme tu le fais, ou nous ne trouverons jamais cette "chose"...Si tu ne veux pas m'écouter, accorde au moins foi à ce que te disent ces chers Uul et Eldir...
- Cessez de perdre notre temps à tous en palabres inutiles! Les précieuses minutes que vous perdez en paroles futiles et stériles sont autant de milles qui nous éloignent de notre proie!

           Une jeune femme venait de prendre la parole, coupant court aux "chamailleries" qui secouaient leur petite troupe...
           Les trois hommes s'arrêtèrent immédiatement, laissant à leur "camarade" le loisir de s'exprimer...

- Plus vite nous aurons mis la main sur cette créature et plus vite nous pourrons nous réchauffer au feu d'une grande cheminée du palais...

           Ses compères acquiescèrent d'un même geste de la tête, car même s'il leur arrivait de se heurter les uns aux autres pour des questions diverses, l'esprit de groupe était si développé chez eux qu'ils avaient souvent le sentiment, à force de se côtoyer, de se fondre avec les autres, s'unissant pour ne plus former qu'une seule entité...

- Tu as raison Sif, "Dompteuse von Kiegern" (3) . Nous avons pour le moment d'autres chats à fouetter... conclut Hermod, qui s'empressa de tourner le dos à Luung, à qui il faisait face, en signe évident de défi.

           Uul balaya du regard la vaste étendue d'arbres, cherchant des yeux quelque chose ou quelqu'un:

- Et Nordr? Ou est-il?

           Sif, s'attendant à une telle question, ne mit pas très longtemps à lui répondre:

- Il est parti à la recherche de Siegfried, qui n'est toujours pas revenu...
- Je savais que nous n'aurions pas dû l'envoyer en éclaireur! Ce gamin n'a aucun talent!!! cracha l'imposant Luung, le poing en avant.
- Une nouvelle fois, tu t'emportes un peu trop vite Luung... Si personne ne lui donne sa chance, ce gosse ne pourra jamais faire ses preuves! lui répondit Hermod.
- Voilà déjà un mois qu'il a intégré notre unité et il n'a toujours pas brillé... continua Uul, comme pour prêter cette fois main forte à son ami Luung.

           Alors que ses compagnons se perdaient à nouveau dans une discussion des plus stériles à propos des capacités du jeune Siegfried, la belle Sif ne put s'empêcher de se demander où Nordr et son jeune protégé avaient pu se perdre... car déjà, leur cosmos n' était plus perceptible...



           Cela devait déjà faire près d'une heure que Siegfried pistait cette créature, dans l'espoir de se retrouver enfin nez à nez avec elle.
           En temps normal, lui et son équipe n'auraient jamais eu à se charger d'une telle tâche car habituellement, on réservait ce genre de choses aux "chasseurs royaux", qui eux, avaient le droit de chasser dans les forêts avoisinants le château, en toute légalité et impunité, puisque travaillant pour le Seigneur Dolbar lui-même.
           Malgré ses pouvoirs, qui faisaient de lui l'un des tout meilleurs guerriers du royaume, il s'était avéré incapable de suivre la bête.

           Cette bête...

           C'était elle que lui et ses compagnons d'arme avaient été chargés de traquer puis d'abattre, afin de mettre fin à ce massacre de gibier que la chose avait entrepris...
           Dans une colère folle, c'est Dolbar lui-même qui avait ordonné à son maître Nordr et à ses hommes, de mettre fin aux ravages que faisait cette "bête" mystérieuse, qui tuait à elle seule, plus qu'une dizaine d'ours enragés...
           Cette chose était si "intelligente" qu'elle avait toujours échappé aux nombreux chasseurs qui s'étaient regroupés, organisant des battues, qui restaient toujours infructueuses...
           C'est pourquoi le Grand Prêtre d'Odin s'était décidé à envoyer sur son terrain de chasse des êtres exceptionnels, qui grâce au "cosmos", réussiraient à débusquer puis à éliminer cette "menace"...

           Siegfried s'appuya contre le mince corps d'un jeune arbre, le faisant légèrement fléchir sous son poids, puis mit le tranchant de sa main parallèlement à son front, cherchant ainsi à voir plus loin...
           Les traces qu'il avait suivies ne semblaient le conduire nulle part...
           Le jeune guerrier dut bien reconnaître qu'une nouvelle fois, la "bête" l'avait dupé, ce qui eut pour effet de l'énerver quelque peu...
           Il s'agissait d'une de ses premières missions et il ne pouvait se permettre de rentrer ainsi bredouille au château, montrant à la Princesse Hilda qu'il avait échoué...
           Cela n'avait aucun rapport mais le jeune homme ne pouvait s'empêcher de penser que s'il n'était pas même capable de ramener ce qui lui semblait être un loup, il ne pourrait jamais être digne de protéger sa souveraine...
           Cette seule idée, plus qu'une quelconque blessure, lui faisait atrocement mal!
           Les gens, avec raison, avaient pris l'habitude de dire que Siegfried était le renouveau des guerriers d'Asgard, tant ses capacités pouvaient surprendre.
           Au fur et à mesure de son entraînement aux côtés de son maître Nordr, il s'était découvert d'incroyables pouvoirs...
           A force d'acharnement, il était devenu possible pour lui de briser des rochers à mains nues, de soulever des charges impressionnantes et de se déplacer, pendant un bref instant, à une vitesse fantastique...
           Pourtant, malgré ses étonnants pouvoirs, malgré ce "cosmos" que son maître lui avait appris à canaliser, il n'était toujours pas en mesure de retrouver cette chose...

           Alors qu'il cherchait, intérieurement, à saisir le pourquoi du comment, les raisons de ces échecs incessants, il sentit soudain une étrange présence...
           Et c'est avec surprise qu'il aperçut, sur sa gauche, un loup à la fourrure d'argent...
           Se pouvait-il qu'en réalité, il n'ait pas perdu la trace du monstre? Ayant, au contraire, réussi à le suivre jusqu'à sa tanière?

- Enfin, je te retrouve... chuchota Siegfried, comme s'il désirait ne pas faire fuir l'animal d'une voix trop forte.

           Il se sourit à lui-même lorsqu'il réalisa qu'en fin de compte, le "monstre" qui décimait le gibier des terres du Seigneur Dolbar, n'était rien qu'un simple loup...
           Toute cette agitation, ce remue-ménage, pour un pauvre animal... un seul et unique loup...

           Un seul?

           Non! Car soudain, de tous les côtés, apparurent de nombreuses autres bêtes, toutes plus imposantes les unes que les autres...
           De leurs gueules ouvertes s'échappaient de petits nuages de vapeur et leurs halètements emplissaient alors ce lieu, qui semblait en réalité être une sorte d'impasse, d'imposants et hauts rochers bloquant l'accès au reste de l'immense forêt...
           Siegfried n'arrivait pas à y croire... S'agissait-il d'un piège?
           Si c'était le cas, alors il reconnut intérieurement qu'il s'était vraiment bien fait avoir et que son manque d'expérience, comme aimaient à le dire Luung ou Uul, ses compagnons d'armes, lui avait une fois de plus joué un bien mauvais tour...
           Le jeune homme serra le poing, cherchant en lui-même la force de se sortir de ce guêpier...
           Au cour de son entraînement, il lui était arrivé bien des fois d'avoir à affronter des ennemis de toute taille et de toute corpulence, mais jamais encore il n'avait combattu une meute de loups.

"En tout cas, bien que cette idée ne m'enchante guère, s'ils m'attaquent, ils seront balayés par toute la force de mon cosmos!" pensa-t-il.

           A peine eut-il le temps d'analyser la situation que déjà, les loups, par dizaines, se jetaient sur lui, l'attaquant de leurs crocs et de leurs griffes acérées... Mais Siegfried n'était pas du genre à se laisser dévorer sans opposer aucune résistance, ce que les bêtes ne mirent pas très longtemps à comprendre car toutes, les unes après les autres, et frappées par les puissants coups du jeune guerrier, se virent projetées au loin, telles des fétus de paille, s'écrasant lourdement sur le sol...
           A son tour, comme ses opposants auparavant, le jeune homme se mit à haleter, respirant à grand peine, tant l'effort qu'il avait dû fournir l'avait vidé des quelques forces qui lui restaient après toutes ces heures passées à courir dans la neige.
           Il n'avait fait que se défendre, soit, mais il avait tout de même été contraint de frapper, et peut-être même de tuer ces pauvres créatures, qui après tout, ne faisaient que répondre à un besoin naturel: celui de survivre...

           Une sensation étrange le rappela à l'ordre, lui indiquant qu'il n'était pas sorti d'affaire pour autant...
           En effet, sur un rocher, à plusieurs mètres de hauteur, se tenait un être étrange dont émanait une cosmo-énergie des plus agressives, mais au combien impressionnante...
           Siegfried reconnut immédiatement le danger et se mit automatiquement en position de défense, comme le lui avait appris son maître, jaugeant du regard cet individu si particulier.
           Quel étrange personnage pouvait être cet homme! Beaucoup plus petit que lui, il avait dans le regard quelque chose de bestial, presque félin... et sa stature, fine et gracile rappelait celle de ces chats sauvages appelés Lynx...
           Ses cheveux, d'un bleu gris, comparable à celui de la fourrure de certains de ces loups, étaient longs et mal coiffés, ne le rendant que plus "sauvage" encore...
           Quant à son visage, il semblait déformé par quelque rage incontrôlable, qu'avait sûrement suscité chez lui le "massacre" de ses "compagnons"...

"On dirait qu'il me toise, comme pour me défier..." pensa Siegfried.

           Le jeune homme ne comprenait pas pourquoi cet énigmatique individu se tenait là, à le "dévorer" du regard, sans bouger cependant... comme s'il attendait justement que ce soit Siegfried, qui fasse le premier pas, ouvrant ainsi les hostilités...
           Car oui, il était clair que cet être étrange n'avait déjà plus qu'une seule idée en tête: se jeter "griffes et crocs" en avant sur sa "proie"!

           Celui qui était censé être le chasseur, le traqueur, prit la parole, ne lâchant pas son adversaire des yeux:

- Qui es-tu étranger? Et que fais-tu sur les terres du Seigneur Dolbar? Ne sais-tu pas qu'il a interdit à quiconque de s'aventurer en ces lieux et de chasser "son" propre gibier!
- Son propre gibier? lui répondit aussi sec l'individu aux cheveux gris-bleus. Ainsi cet homme croit véritablement posséder tout ça?!? C'est ridicule, la nature n'appartient qu'à elle-même, et à personne d'autre!

           A ces mots, Siegfried comprit à quel point la situation pouvait être risible... C'est vrai, Dolbar l'avait envoyé châtier la "chose" qui avait osé s'aventurer sur "ses" terres, traquant "son" propre gibier... Il devait faire respecter la loi alors qu'il savait très bien cette dernière dénuée de sens... Car après tout, l'homme qui lui faisait face avait entièrement raison! Pourquoi Dolbar se permettait-il d'interdire à quiconque de chasser sur ces terres?...
           Mais en acceptant l'ordre de celui qui était son maître, son chef, son seigneur, Siegfried devenait lui-même complice de cette injustice...

- Va-t-en et ne reviens pas... je dirais ne pas t'avoir vu! Ainsi tu ne seras pas inquiété... continua le jeune soldat.
- Inquiété? Oh? Voyez-vous ça? Comme c'est charmant de ta part, humain puant! renchérit l'autre.
- Aaaaar... Je ne sais pas qui tu es mais... tu joues un jeu dangereux étranger! Quitte cette forêt avant qu'il ne soit trop tard!
- Ah ah ah ! Que pourrait-il m'arriver? Sache que je ne crains personne, je n'ai aucun ennemi puisque tel mes loups, je ne laisse jamais filer ma proie!
- C'est ridicule! Qui que tu sois, tu ne pourras rien contre moi, ni contre mes équipiers, qui ont déjà investi et encerclé cette forêt!
- Pffff... Tu veux parler de ces idiots, d'une lenteur affligeante, embourbés dans la neige jusqu'au torse!?

           Siegfried ne put cacher son étonnement... Ainsi son "adversaire" les avait tous piégés, éloignant le membre le moins expérimenté du reste du groupe?

- Non! Tu veux dire que...?
- Mmmm... Oui... J'ai même ressenti vos présences bien avant que vous ne pénétriez dans cette forêt... Vous avez donc été pour moi des cibles faciles...
- Aaar! Non! Il s'est en réalité joué de nous, nous qui croyions être les chasseurs... siffla Siegfried entre ses dents...
- Vous voilà maintenant de simples proies... de la « viande »…Car quand j'en aurai fini avec toi, je me chargerai de tes amis un par un, les uns après les autres... lâcha l'étranger, un sourire carnassier aux lèvres.
- Et bien soit, dit Siegfried, si tu veux vraiment avoir à combattre, je serai ton homme!
- Mmmm... Que les griffes du Loup te déchirent!!!!!!! hurla l'homme, alors qu'il s'était élevé haut dans le ciel, avant de retomber, la main en avant, sur le sol, frappant Siegfried en plein visage!

           Le coup fut violent mais surtout d'une rapidité incroyable.
           Le jeune homme s'était retrouvé, le visage contre la froide neige, sans qu'il n'eut pu voir le coup arriver...

- Aaaah... Aaah... Comment? Mais...? balbutia Siegfried, encore sous le choc de la violente et imprévisible attaque qui venait de lui être portée.
- Mmmm... héhé! Surpris? Sache que je serai un adversaire bien plus redoutable que mes loups!

           Comment cela pouvait-il être possible? Comment cet homme pouvait-il lui avoir décoché un coup à une telle vitesse? Non... Se pouvait-il qu'il... Se pouvait-il que cet individu soit capable, lui aussi, de brûler un cosmos? Et quel cosmos!

- J'avoue ne pas m'être assez méfié... mais c'est une erreur que je ne commettrai pas une seconde fois... étranger...
- Parmi les loups, je n'ai pas besoin de nom... mais pour toi, je serai Fenril... Le "Loup Mangeur d'hommes"...

           Siegfried, péniblement, réussit à se remettre sur ses pieds, s'ébroua vivement et écarta d'un revers de la main la fine couche de neige qui s'était collée à son visage aquilin.

- Et bien Fenril, le "Mangeur d'hommes", tu as eu tort de porter la main sur un serviteur d'Odin... car maintenant que je sais de quoi tu es capable, je ne vais pas te ménager, crois moi!
- Oh? Une menace? Vois-tu comme je tremble? s'esclaffa l'homme à l'allure bestiale.

           Comme pour appuyer ses dires, Fenril se rua, à une vitesse avoisinant plusieurs fois celle du son, sur son adversaire, comme un loup fondant sur une jeune biche sans défense pour la déchiqueter et ne rien en laisser.
           Le jeune Siegfried, une nouvelle fois, ne vit rien venir, à part peut-être le tronc d'arbre dont il se rapprochait dangereusement après avoir été projeté par la nouvelle attaque de l'homme loup.
           C'est dans un bruit sourd qu'il alla s'écraser contre ce même tronc, sentant comme ses propres os se rompre sous l'impact.

"Aaaargh...C'est... C'est impossible... Non..." pensa Siegfried, alors qu'il tentait, tant bien que mal, de se relever à nouveau.

- Je ne m'étais pas trompé humain... Tu n'es rien de plus que de la chair fraîche pour Fenril!

           L'homme sauvage s'approchait à pas lent de celui qu'il considérait, à juste titre, semblait-il, comme sa future "victime"...
           La force et la rapidité de cet homme avait fait plus que surprendre Siegfried. Jamais il ne se serait attendu à rencontrer un tel adversaire en pareil endroit, parmi les arbres et les loups...
           Ce Fenril semblait s'être éveillé, tout comme lui, à ce que les guerriers les plus aguerris, depuis les temps immémoriaux, et ce de par le monde entier, appelaient "Cosmos", cette énergie quasi infinie, intarissable, et qui permettait aux hommes comme lui, d'accomplir des miracles.

"Mais à la fin, qui est-il?" se demanda le jeune soldat, tandis que soudain sa vue se brouillait à cause du sang qui commençait à couler sur ses paupières.

- Tu ne comprends toujours pas? Toi, tu t'attendais à combattre un homme, alors qu'en réalité, tu te retrouves ni plus ni moins devant un loup des plus féroces...

           Fenril avait raison... Il avait mis les pieds dans cette forêt dans le seul but de traquer et de mettre à mort une bête étrange, capable d'échapper aux incessantes battues de tous les chasseurs du royaume... mais finalement, c'est un homme qu'il avait trouvé sur sa route... un "homme habité par une rage animale", à priori, sans bornes.

           La salve de coups qui suivit ne fut pas moins terrible que la première: coups de genou, de coude, uppercuts et crochets meurtriers vinrent finir de sonner le jeune soldat...

"Est-ce vraiment tout ce dont je suis capable?" se demanda Siegfried intérieurement, accompagnant ainsi un râle de douleur que lui arrachait une plaie à présent béante à l'arcade. En face de lui, son "adversaire", cet être étrange, ce Fenril, affichait à présent un sourire sardonique.

           Sa haine et sa hargne d'avoir perdu bon nombre de ses compagnons, faisait à présent place à un certain plaisir malsain, tel celui que doit ressentir un prédateur au moment d'enfoncer profondément ses crocs dans la chair de sa proie...une proie totalement soumise, résignée à mourir...

           Mais Siegfried, lui, s'était-il résigné à abandonner...?

           Après tout, même s'il n'avait encore jamais combattu un tel adversaire, il avait dû surmonter bien des épreuves pour finalement mériter d'être incorporé à l'unité Vulkan, celle des plus grands guerriers, que dirigeait son maître Nordr...
           Il avait bravé la mort tant de fois qu'il ne pouvait même plus les compter, il avait enduré mille supplices, aussi bien physiques que mentaux pour parvenir jusque là...
           Il ne pouvait pas s'éteindre face à cet inconnu, et encore moins de cette façon, loin de tous ceux qu'il aimait, dans un lieu froid et sombre comme cette forêt...
           Il devait relever la tête, serrer les poings et se battre...
           Pour son maître... sa mère aujourd'hui disparue... mais aussi pour son royaume, son peuple... et pour... Hilda...

"Hilda...Hilda..."

           Ce nom... puis ce visage... cette chaleur...
           Non! Ne serait-ce que pour elle, ses tendres regards, sa douce aura, sa pure bonté... il n'avait pas le droit de perdre espoir...
           Cet homme, cette chose en face de lui, allait prendre conscience de toute la force de Siegfried, son ennemi...

- Ce n'est plus un jeu. murmura Siegfried, alors que tout autour de lui, apparaissait une splendide aura de couleur blanche, qui semblait le nimber totalement.
- Hein? Mais quelle est cette énergie qui se dégage soudain de lui? C'est comme si... sa véritable puissance m'apparaissait soudain ! s'étonna Fenril.
- Je te l'ai dit: le jeu est terminé!

           Sous l'effet de la colère de Siegfried, le sol se mit soudain à trembler, et la neige à fondre légèrement tout autour de lui, alors que les arbres qui les entouraient tous les deux semblaient craquer de toute part, composant une bien étrange musique.
           L’homme-loup, immédiatement, fît un pas en arrière, comme pour s'écarter de cette incroyable et effrayante énergie qui ne cessait de croître...
           Que ressentait-il? Etait-ce de la peur? Lui qui n'avait jamais redouté qui que ce soit, lui qui n'avait jamais tremblé... ni versé de larmes depuis tant d'années...?

           Le soldat avait tendu son corps, comme un arc prêt à cracher une salve de flèches aiguisées, prêt à frapper... mais surtout à vaincre.
           Ses deux poings étaient auréolés de fumée ou d'une sorte de vapeur, due à la température élevée qu'ils dégageaient, réchauffant jusqu'à l'air glacé qui les entouraient.

"Il s'apprête à me porter un coup! Il agonisait pourtant tout à l'heure?!?" s'interrogea Fenril, qui voyait cette fois en son adversaire, un réel danger, une menace pour sa propre vie...

           Mais lui non plus ne comptait pas en rester là ou s'enfuir, la queue entre les jambes, tel un chiot qui a reçu une trop violente correction.
           Cet humain, cet émissaire du monde des hommes, qui était venu pour le tuer, le menaçait, prêt à fondre sur lui et tout lui prendre!

"Nooooon! Plus personne ne m'ôtera ce qui est à moi!!!! Plus jamais!!!" hurla-t-il en son fort intérieur, comme pour s'exhorter lui-même à trouver, non pas le courage, car il en avait toujours fait preuve, mais la force de terrasser cet envoyé des hommes, ses ennemis!

           Siegfried constata avec effroi que tout autour de Fenril, était apparu une aura d'un magnifique bleu...
           Tout comme lui, son ennemi avait décidé d'aller jusqu'au bout et de défendre chèrement sa peau...
           Après tout, pouvait-il le blâmer pour cela?
           Bien sûr que non, Siegfried était un guerrier et il savait très bien que dans de pareils affrontements, seul celui qui tenait le plus à la vie, ressortait vainqueur... Et manifestement, ce Fenril était lui aussi animé d'une incroyable envie de vivre...

- Tu aurais dû m'écouter Fenril! lança Siegfried.
- A quoi bon?!? Puisque tu vas mourir!!! renchérit son adversaire.

           Tous deux avaient canalisé leur cosmo-énergie, de sorte à mettre tout ce qu'ils avaient dans cet ultime coup, qui allait, ils en étaient certains, déterminer l'issue du combat.
           La Nature elle-même semblait s'être arrêtée, comme si elle désirait ne pas perdre une seule miette de l'affrontement...
           Les oiseaux avaient déjà tous fui depuis longtemps le "champ de bataille", les loups qui avaient trouvé la force de se relever s'en étaient allés chercher refuge un peu plus loin... Quant au vent, il avait lui aussi cessé de souffler, laissant les branches frêles et squelettiques des arbres, étonnamment statiques...

           Mais soudain, une voix retentit:

- Siegfried! C'est inutile!

           Les deux adversaires desserrèrent soudain les poings au seul son de cette voix forte et majestueuse, grave mais à la fois si solennelle et si douce.
           Elle revêtait pour Siegfried, qui l'avait entendue durant tant d'années, un véritable caractère paternel...

- Maître? Mais... vous... bredouilla-t-il, tandis que la silhouette de l'homme leur apparaissait alors au grand jour.

           On l'appelait Nordr et pour chaque habitant d'Asgard, son nom était synonyme de bravoure, de bonté, de force mais aussi de dignité.
           Aimé, respecté, reconnu et craint, il était l'illustration même de la droiture, de la justice et de la noblesse, dans le sens le plus pur du terme.
           Instinctivement, et même malgré la présence toute proche de son adversaire, le jeune Siegfried baissa la tête, en signe évident de respect envers celui qui avait fait de lui ce qu'il était aujourd'hui.
           A vingt-huit ans, ce Nordr était réputé pour être le plus grand guerrier que le royaume d'Asgard ait jamais porté...
           On dit qu'il lui suffisait d'un geste pour anéantir un glacier et que de son seul souffle, il pouvait entrouvrir la mer elle-même. Plus qu'une réputation, il s'agissait là d'une légende: celle de Nordr, le plus vaillant et le plus grand de tous les combattants!
           Son visage, aux traits fins, était blanc et grave. Ses cheveux, d'un magnifique noir de jais, légèrement bouclés et longs, étaient attachés au niveau de la nuque, à un fin morceau de ficelle...
           Son corps, bien bâti, grand et élancé malgré les muscles que l'on devinait sans mal à travers sa tunique, trahissait sa condition de guerrier.
           Quant à ses yeux, d'un bleu plus bleu encore que l’Océan lui-même, ils ne faisaient qu'accroître un peu plus encore cette impression de majesté qui se dégageait de lui.

           Voilà bien des années que Siegfried vivait à ses côtés, mais à chaque fois qu'il était en sa présence, une incroyable sensation l'envahissait.
           Il avait longtemps cherché à l'identifier et finalement, il avait fini par se rendre compte qu'il s'agissait d'"Amour".
           C'est vrai... Il aimait Nordr, plus que quiconque... Plus qu'un maître, il avait été pour lui un père, un frère, un mentor...
           L'Amour qu'il éprouvait pour lui était comparable à celui d'un fils pour son père, un Amour rempli d'admiration et de respect.
           Cet homme était celui qui lui avait tout appris, qui lui avait inculqué toutes ces valeurs, et qui avait fait de lui un brave.
           Siegfried en était conscient: il lui devait tout!

           C'est d'un pas décidé et calme que Nordr s'avança vers les deux combattants, mettant ainsi fin à l'affrontement.

- Aaaaargh! Qui es-tu?!? grogna Fenril, comme pétrifié par l'incroyable intensité de la cosmo-énergie de cet homme qui venait de s'immiscer en plein cœur de son combat

           La peur que ressentait cette fois l'homme-animal n'avait rien de comparable à cette étrange sensation qui l'avait assailli lorsque son opposant lui avait révélé sa véritable force.
           Cette fois-ci, c'était différent... cet homme leur était de loin supérieur à tous les deux...
           L'homme-loup fit à nouveau, un pas en arrière, puis un second, effrayé comme il l'était par cet étranger à l'allure si digne et dont émanait une telle aura.
           Malgré le froid, des gouttes vinrent perler sur son front et ses membres se mirent à trembler...

"Non... Non... Ce n'est pas possible! Cet homme me ferait-il p... peur?" se demanda Fenril, qui avait finit par détourner le regard, pour finalement s'enfuir, la tête basse, accompagné de ses loups, clopinant.

           Siegfried, à la vue de cet étonnant spectacle, resta bouche bée durant de longues secondes...
           Il avait suffi à son maître d'apparaître, sans même montrer aucun signe d'hostilité, pour faire fuir ce Fenril, qui semblait pourtant animé d'une hargne et d'une combativité à toute épreuve.
           Etait-ce là toute l'étendue du pouvoir de son maître Nordr: dégager une telle présence que même un être assoiffé de sang tel que cet énergumène, décide de s'enfuir, préférant le déshonneur à la souffrance?

- Maître... Je... je n'avais même pas ressenti votre présence... balbutia le jeune Siegfried.
- C'est naturel, "Drachenblut" (4)... C'est la première fois que tu t'opposes à un tel adversaire... De plus, tu étais si absorbé par ton combat contre cet homme que tu ne pouvais même plus, ne serait-ce songer que je puisse être non loin... lui répondit Nordr.
- Je... je n'avais encore jamais rencontré un tel homme, si je puis l'appeler ainsi, il semblait habité par la haine et la folie... On aurait dit...
- Une bête? C'est ça? demanda son maître.
- Oui... Une bête! C'est exactement ça! Même son regard était celui d'un loup (5)!
- Qui sait? Peut-être qu'au fond de lui, cet homme se sent-il plus loup que humain? Je ne crois pas que nous puissions réellement lui en vouloir, Siegfried.
- Comment? Mais? Que dîtes-vous là? Et pourquoi m'avoir empêché de le vaincre?
- Car mon instinct me dit qu'il n'était pas temps pour ce Fenril de nous quitter... Il semble encore avoir un rôle important à jouer...
- Vous... Vous connaissez son nom? demanda Siegfried, étonné.
- Bien dissimulé aux yeux des hommes, ce pauvre garçon croit pouvoir échapper à leurs regards mais... cela fait bien longtemps que je l'observe...
- Vous voulez dire que vous le connaissez?
- Triste est son histoire... je te la raconterai bientôt si un jour il te prend l'envie de la connaître... continua Nordr.
- Il n'empêche Maître, je l'avais à ma merci! ajouta Siegfried.
- Vraiment? Il me semble pourtant t'avoir vu plus souvent à terre que sur tes deux jambes dans cet affrontement mon jeune ami...
- Vous étiez donc présent? Vous m'auriez laissé affronter cet homme seul, dans le but de me tester?
- Exact... je savais très bien que ce fameux "monstre", que redoutait notre seigneur, n'était autre que le jeune Fenril... mais j'ai préféré me taire à ce propos, acceptant sans sourciller l'ordre de notre prêtre, dans le but de te faire tomber nez à nez avec l' "homme-loup"...

           Siegfried se mit à se maudire, se reprochant à lui-même sa propre naïveté: son maître s'était joué de lui et il s'était fait avoir comme un enfant!

- Et les autres? Etaient-ils au courant?

           Nordr ferma les yeux un court instant, et un léger sourire apparut au coin de ses lèvres...:

- Non... Tout comme toi, ils pensent être en mission... mais la neige, en ce moment, doit sûrement les ralentir à un tel point qu'ils ont sûrement interrompu les recherches, attendant impatiemment notre retour à tous deux...

           Siegfried posa son regard sur le parterre de flocons, qui, à l'endroit de son affrontement avec Fenril, était encore rouge de son propre sang...

- Je suis sûr que j'aurais pu le vaincre! lâcha-t-il avec aigreur, dans un ultime sursaut d'orgueil qui ne lui était pas habituel.

           Son maître tourna la tête vers lui, puis la baissa légèrement, dans le but de plonger ses yeux dans ceux de son disciple:

- Justement, je n'en suis pas si sûr vois-tu... Et c'est aussi en partie pour cela que j'ai interrompu ton combat...
- Hein? s'étonna Siegfried.
- En effet, peut-être l'aurais-tu vaincu mais... et toi dans tout ça? Penses-tu réellement que tu aurais pu ressortir en un seul morceau de cet assaut?
- Je... je... bredouilla Siegfried avec peine.

           Son maître, une nouvelle fois, avait raison... Sans doute aurait-il pu tuer Fenril mais... lui, serait-il parvenu à survivre à l'attaque?
           Etonnamment, il lui était même impossible de répondre... Il s'était toujours cru brillant... mais cet homme, non, "cette bête", lui avait démontré qu'il existait d'autres personnes tout aussi fortes...
           Siegfried se rendit alors compte qu'il n'était pas le seul... Son ami Haagen avait lui aussi appris à dompter le cosmos, mais c'était aussi le cas de Uul, de Eldir, de Hermod, de Sif et de Luung, de son maître bien sûr, mais aussi de ce Frey, plus au sud, d'un certain Syd qui leur rendait souvent visite au palais... et maintenant de ce Fenril, ce "loup"...

           Alors que Nordr, bien décidé à retrouver les autres, avait pris les devants, Siegfried se promit une chose: devenir aussi puissant que son propre maître, sinon plus... et ne plus jamais ressentir ce sentiment étrange et déplaisant, issu de la défaite...



           Comme cela pouvait être apaisant... Venir baigner son corps dans cette source d'eau chaude était pour lui devenu comme un rituel... Chaque jour, il venait s'y reposer, trouvant là la quiétude et le repos qui lui étaient nécessaires.
           Voilà bien des années qu'il l'avait découverte et qu'il s'y rendait, offrant à son corps la douce caresse des volutes de vapeur qui s'en dégageaient et de cette eau, chaleureuse, bienveillante, qui savait nettoyer son corps aussi bien que son âme.
           Il lui était même arrivé de composer, en ces moments privilégiés, de magnifiques odes, à la Nature et au peuple courageux dont il était issu... car sa lyre, son divin instrument, ne le quittait jamais, même lorsqu'il allait prendre son bain..
           Une vague de froid s'était soudain levée, emportant avec elle la relative douceur qui semblait avoir régné durant toute la matinée.
           Mime releva la tête, plongeant son regard à travers la cime des arbres, qui l'entouraient, le protégeant du regard des curieux.

"Ce froid est inhabituel... même en cette saison..." se dit-il à lui même, se demandant tout à coup ce qui pouvait en être responsable.

           Cela faisait déjà près d'une heure qu'il était là, et il décida qu'il était temps de partir... car après tout, l'après-midi venait tout juste de commencer, à en juger par la position de l'Astre du Jour dans le Ciel, et il lui restait encore pléthore de choses à accomplir...
           Il sortit lentement de l'eau, afin de laisser à son corps le temps de s'habituer à l'important écart de température entre cette eau, chaude et apaisante, dans laquelle il avait baigné pendant près d'une heure, et l'air glacé du dehors, de la surface...
           Puis rapidement, il se saisit de ses vêtements, qu'il avait pendus à une des branches d'un gigantesque hêtre, et les enfila, tout aussi rapidement, épargnant ainsi à sa peau encore humide une exposition prolongée à la morsure du froid...

           Comme à son habitude, il ne mit pas très longtemps afin de rejoindre la petite maison de bois qui était la sienne, et dans laquelle il avait été élevé, par son père, qui lui faisait aussi office de maître...
           Quel chaleureux petit intérieur... simple mais au combien accueillant...
           Construite en rondins, la petite maison avait ce-je-ne-sais-quoi qui faisait que, quelque fusse la personne qui y séjourne, celle-ci se serait senti à l'aise, "chez elle"...

           Nonchalamment, Mime se laissa tomber sur le douillet matelas de son petit lit, se frottant le dos contre la couverture, à présent défaite, tel un chat cherchant à déposer son odeur sur quelque chose.
           Il est vrai que rien ne lui aurait fait plus plaisir que de s'abandonner au sommeil, même si son bain dans cette source d'eau chaude l'avait débarrassé de la lassitude qu'une matinée à couper du bois avait fait naître chez lui.
           Mais non, il ne pouvait pas se permettre de fermer les paupières et de sombrer, peu à peu, dans l'inconscience... échappant pour quelque temps aux incessantes questions et images qui venaient bien trop souvent tirailler son esprit.

           Ces images, pour la plupart, revêtaient le visage de son père, toujours lui... cet homme qui l'avait élevé, à sa manière... qui l'avait poussé à devenir ce guerrier, cette machine à tuer, dont il rêvait tant.
           C'est vrai, "une machine à tuer", voilà ce que Mime avait fini par devenir... Un fou, incapable de dissocier le vrai du faux, la réel du virtuel... C'est tout du moins ainsi qu'il se voyait à présent...
           Durant toute son enfance, son père avait travaillé sans relâche à faire de lui un tueur sanguinaire, violent, implacable, rempart infranchissable pour qui tenterait de s'accaparer Asgard, sa mère patrie...
           De séances d'entraînement en séances d'entraînements, à chaque fois plus dures, il avait réussi à le transformer en "guerrier", comme il aimait à le dire, lorsqu'il présentait son fils à quiconque les rencontrait.

           Mais, et Mime dans tout ça? Le désirait-il vraiment? Etait-ce son rêve le plus fou que de savoir briser un rocher d'un seul doigt ou de courir à la vitesse du son? Ne se sentait-il heureux que lorsqu'il entamait un combat? Ne vivait-il, comme l'avait fait son père, que pour la Guerre?

           Le jeune homme aux longs cheveux blonds changea de position plusieurs fois, s'agitant comme une petite vipère sorti tout juste du ventre de sa mère, pour finalement adopter celle du fœtus, ramenant ses genoux presque à hauteur de sa poitrine...

           Non, bien sûr, il n'avait jamais rien désiré de tout cela, car en vérité, il abhorrait toute sorte de violence, même celle des mots... La seule chose qui avait toujours compté pour lui était de laisser courir ses doigts d'enfant le long des cordes de son bel instrument, faisant naître, au gré de son inspiration, une note, puis une deuxième, prélude à une mélancolique musique.
           Cela, son père ne l'avait jamais compris... Quelle pitié... Que de temps perdu, de moments gâchés...
           Maintenant, il n'était plus là, emporté dans la mort par sa propre création. Lui, le Pygmalion avait été frappé par celui qu'il avait choisi de bâtir de toutes pièces, sacrifiant ainsi son propre fils, à son idéal de puissance...

           Mais Mime ne voulait plus y repenser... Soit, il avait tué son propre père, dans un accès de colère... mais il ne s'en sentait ni coupable, ni infiniment satisfait...
           Tout était trouble dans son esprit... De toute façon, personne ne saurait jamais à quel point Volken, son père, était un être abjecte; comme personne ne saurait jamais dans quelles circonstances il avait réellement trouvé la mort...

           Tout compte fait, Mime choisit de fermer les yeux et de se laisser tomber dans les bras de Morphée... car endormi, tous ces souvenirs, qu'il aurait aimés, une bonne fois pour toute, chasser de son esprit, ne viendraient plus le tourmenter...

           Et c'est alors, tout ce qu'il demandait...



"Un peu de pluie"



Je n'entends déjà plus de bruit

J'ai prié pour un peu de pluie

Des gouttes d'eau pour laver mon corps

Mon âme, mon cœur et puis tous mes torts...


Une musique qui jamais ne trahit

Des notes, un air, des jeux interdits

Des gouttelettes pour oublier sa mort

Ma peine, ma haine et puis tous mes torts...


C'est comme si j'avais voulu

Toute cette souffrance, ces moments perdus

Ce sang, cette rage, que j'ai toujours fuis

J'échangerais tout contre un peu de pluie...


Il est trop tard et personne ne sait

Comment je suis et comment il était

Des trombes d'eau pour nettoyer mes pores

Mon âme, mon cœur et puis tous mes torts...


Mes cordes pleurent une enfance gâchée

Instants perdus, à trop espérer

Une courte averse pour me rappeler encore

Ma peine, ma haine et puis tous mes torts...


C'est comme si je n'avais pas pu

Lui dire ces mots et voir ce qu'il fut

La vérité que j'ai toujours fuie

Je me damnerais pour un peu de pluie...


Une cascade, une rivière,

Un grondement, un coup de tonnerre,

Un fleuve, un lit,

Ou même le fond d'un puits,


Tout ce que je veux, est un peu de pluie...



Mime



           Le bruit de leurs pas résonnaient à travers l'immense salle froide et sombre dans laquelle ils se trouvaient tous les deux. Cette pièce, que l'on appelait plus communément "salle du trône" avait été à l'origine construite pour le roi, et c'est là qu'il était censé recevoir les gens qui lui demandaient audience.
           Mais sans roi, le grand prêtre se l'était accaparée, faisant de celle-ci son endroit, celui où on venait le trouver lorsque l'on avait à s'entretenir avec lui...
           Elle n'avait pas toujours été aussi sombre... les ténèbres n'avaient pas toujours été là, envahissant jusqu'à la moindre parcelle de lumière, s'immisçant dans chaque recoin, rendant l'atmosphère qui y régnait plus lourde encore.

           Assis sur son gigantesque trône, le Grand Prêtre releva son regard vers celui avec qui il s'entretenait depuis déjà de longues secondes...
           Erik était un jeune homme étonnant, cela il l'avait toujours su...
           Vif, intelligent, retors mais surtout puissant, le jeune homme avait, selon Dolbar, toutes les qualités requises pour s'élever haut, très haut, peut-être même plus haut qu'il ne s'était jamais élevé lui-même... Ce qui constituait bien entendu pour lui, une bonne raison pour tenir ce "jeune loup" à l’œil, tout en sachant en tirer le meilleur parti pour ses plans futurs
           Il l'avait recueilli, élevé, formé, façonné, fait de lui un être à son image, lui inculquant jusqu'au plus profond de lui chacune de ses valeurs dont il était si fier...
           A présent, lorsqu'il constatait les résultats de son propre travail, il se rendait compte qu'il avait réussi son pari: faire de ce jeune homme un être à son image, un être qui ne redoutait rien, un guerrier accompli et compétent, un "gagnant"...

           Le jeune Erik, comme il avait l'habitude de le faire lorsqu'il se trouvait en face de son maître, se tenait là, droit comme un i, le regard fier, mais légèrement incliné vers le bas, en signe évident de "soumission" devant celui qui avait fait de lui l'homme qu'il était alors, et qu'il avait toujours voulu devenir...
           Ses cheveux châtains, courts et ébouriffés ne faisaient qu'accentuer cet aspect "inquiétant" qui se dégageait de sa personne et qui devait sans aucun doute faire naître chez les gens qui le côtoyaient un certain sentiment de méfiance...

- Maître... Voilà plusieurs jours maintenant que la princesse Hilda est arrivée au palais et... nous n'avons toujours pas lancé l'assaut... dit-il, timidement, comme s'il cherchait à ne surtout pas offenser son maître.
- Tu es trop impatient Erik... Chaque chose en son temps... Laissons donc à cette chère Princesse un peu de répit... Après tout, elle sera bientôt aux centre d'événements qui la dépasseront sûrement...
- Mais... maître... Elle croit réellement que vous allez lui céder le trône... Comment croyez-vous qu'elle réagira lorsque vous lui apprendrez la vérité? demanda le pupille de Dolbar.
- De toute façon, elle n'aura guère le choix... Elle devra m'écouter et me suivre, ou bien...
- Ou bien?
- ...Ou bien elle subira un sort que même les "cent-fois damnés" ne pourraient lui envier! lui répondit Dolbar, d'un ton menaçant.
- Ce ne serait effectivement pas pour me déplaire... Mais ne m'avez-vous pas dit que son aide nous serait précieuse?
- J'ai effectivement dit cela... Seule la grande prêtresse, peut, à loisir, réveiller les sept Guerriers Divins, protecteurs de Polaris... qui pourraient nous être d'une aide plus que précieuse dans cette guerre qui se profile à l'horizon... siffla calmement le prêtre.
- Je vois... murmura Erik.
- C'est pour cela, mon jeune ami, que j'ai grand besoin d'elle, car morte, elle ne nous servirait plus à grand chose...
- Oui... Et bientôt, menés par les légendaires Guerriers Divins, nous quitterons ces terres gelées et partiront à la conquête du reste du monde... continua Erik, qui ne pouvait déjà plus contenir sa "joie".
- Oui mon fils... Bientôt... Le jour viendra où nous autres, gens d'Asgard la Blanche, depuis des millénaires confinés et proscrits dans ce désert de glace, élèverons nos voix plus haut que toutes les autres, puis nous dresserons, venant réclamer ce qui nous revient de droit, ce dont nous avons été privé, il y a tant de temps déjà... poursuivit Dolbar, faisant ainsi écho aux paroles de son élève.
- Le monde... le monde entier connaîtra alors le nom d'Asgard... et le craindra... lâcha le jeune homme, les mâchoires serrées par l'excitation.
- Ce jour viendra bientôt... ce n'est plus qu'une question d'heures à présent Erik... Mais maintenant, va.. j'ai à faire et je dois rester seul lors de ma prière... rajouta le prêtre.

           Erik inclina un peu plus encore la tête, posa sa main droite sur son cœur, plia un genou, puis répondit, cette fois d'un ton calme et posé:

- Bien votre majesté... Dans ce cas, je me retire... N'hésitez pas à me faire appeler si quelque chose que ce soit nécessite mon aide ou ma présence...
- Ne t'inquiète pas, mon cher Erik... Ce sera fait... murmura Dolbar.

           Sur ce, le jeune homme tourna les talons, ramenant sa cape par dessus une de ses épaules, puis disparut à travers l'imposante porte , en direction du hall...
           Dolbar jeta un rapide coup d’œil en sa direction tout en continuant à faire tourner entre ses longs doigts maigres le pied du verre à vin qu'il tenait depuis déjà de longues minutes...
           Le bruit des pas d'Erik, dans le couloir, attestait du départ de celui-ci...

"Tant mieux", pensa-t-il, "mieux vaut qu'il ne soit pas présent"...

           Lentement, il se leva de son trône, puis, toujours à pas lents, se dirigea vers l'autel, au fond de l'immense pièce.
           Avec précaution, il alluma six grandes bougies de couleur rouge et, attendant qu'elles ne se mettent à émettre quelque fumée, récita, marmonna, quelques paroles dans la langue à présent oubliée de ses ancêtres vikings, jadis employée par la quasi totalité des habitants de la Blanche...

"O toi, issu de la nuit,
Trouble sang et morne chant,
Ni Dieu, ni Géant,
Fils des Runes au rire accablant,
Ecoute ma voix,
Et apparais moi,
Toi, dont le souffle est si noir et si froid..."

           La fumée dégagée par les bougies, rouge sang, vira au pourpre, puis au noir, répandant dans l'air comme une odeur de mort et de ténèbres, emplissant l'atmosphère d'un froid intense, comme celui qui gèle les os et déchire les chairs...
           Le chaos, le néant, sembla tout envahir, tout dévorer, pour finalement ne plus rien laisser d'intact, insufflant le vide et le désespoir dans chaque recoin de la gigantesque salle.
           Le sol, dallé de marbre froid, se retrouva couvert de ronces, pour finalement se changer en un douloureux tapis d'épines.

           Le grand prêtre réprima un léger frisson, à la vue de ce qui advenait de la spacieuse salle dans laquelle il se trouvait, ferma les yeux un instant, puis inspira profondément, comme pour chercher au plus profond de lui-même la force de prononcer ces quelques paroles:

- O fils de la nuit, immortel grugeur, venez à l'écoute de ces quelques et maigres nouvelles...

           Un sifflement, semblable à celui d'un serpent, fit écho à ces quelques paroles, puis lentement, sembla se muer en murmure, en chuchotement, puis en doucereuse comptine:

- Maigres nouvelles? La princesse est pourtant déjà sous ton toit n’est-ce pas? Ce seul élément devrait te réjouir bien plus que cela, grand prêtre...
- Je le sais, mais... je crains d'avoir mésestimé sa force de caractère et sa détermination...
- Comment cela?
- Je l'ai fait venir ici, lui faisant croire que je lui céderai le trône, dans le seul but de la rallier à ma cause, elle, la seule à pouvoir réveiller les sept Guerriers Divins, protecteurs de Polaris... mais tout me porte à croire qu'elle ne pourra que s'opposer farouchement à nos plans...
- Nous privant ainsi de l'aide de ses sept protecteurs?
- Oui, il s'agit effectivement là de ma principale crainte...
- Si tu veux lever cette armée, menée par les vingt-cinq conquérants de la légende, dans le but de réduire à feu et à sang le sanctuaire d'Athéna, gardienne de l'hémisphère sud, il te faudra impérativement faire en sorte qu'elle fasse appel au pouvoir des sept étoiles de la Grande Ourse...
- Mais après tout... Le sanctuaire d'Athéna, fille de Zeus, exsangue, ne représente plus de réelle menace… Pourquoi ne pas nous contenter des dix-sept autres guerriers divins, que je peux, en tant que grand prêtre, réveiller?...
- Tout simplement, humain, parce que leur pouvoir, aussi incroyable qu'il soit, ne pourrait faire définitivement pencher la balance en notre faveur...
- Comment? Vous voulez dire que...?
- Oui... Athéna a beau avoir perdu bon nombre de ses défenseurs, elle jouit toujours de la protection de valeureux et puissants héros, prêts à donner leur vie pour elle...
Issus de l'or, l'alchimiste, le colosse, le téméraire, l'éveillé, le vénérable et le fier, se dressent toujours, remparts infranchissables, inébranlables, véritables demi-dieux en armure dorée, qui te coûteraient chacun deux guerriers ou plus...
Et si de l'argent, seulement deux étoiles toujours brillent, du bronze se relèveront toujours le porteur d'espoir, le brave, le torturé, le tendre et le flamboyant...


           Dolbar réprima un léger sursaut, sans doute ce que venait de lui apprendre son mystérieux interlocuteur venait de faire naître en lui un doute...

- Ainsi, seul l'appui des guerriers, nés de la grande Ourse, nous offrirait la victoire?
- Les forces de l'ombre restent indécises à ce sujet... mais leur aide pourrait t'être précieuse prêtre d'Odin, toi que ton dieu a abandonné, désertant ce désert de glace, dans lequel il vous a laissé vous perdre, toi et ton peuple...
- Ggggg... Si j'ai bien compris, d'une manière ou d'une autre, je dois convaincre Hilda de réveiller ses guerriers, sous peine de voir mes plans être réduits à néant...
- Cependant, ne tarde pas trop... car la populace semble la réclamer, plus qu'elle ne t'a jamais désiré, toi, qui devient, au fil des jours, de moins en moins aimé, de plus en plus haï...
- N'ayez aucune crainte, c'est le moment où jamais... Bientôt j'assoirai ma domination sur le reste du monde et mon pouvoir, alors, égalera celui d'Odin, des autres Dieux, et pourquoi pas, même, le vôtre...
- Ahaha... petit prêtre... Je souhaite que ce moment arrive un jour... Je te laisserai le pouvoir que tu désires tant... Pour ma part, je me contenterai d'offrir à mon nouveau corps un bain de sang... le sang d'une déesse... Ahahahahahhhhaaaaahhhaaaaahaaaaaa !



           Il était presque quatorze heures et l'astre du jour, inaccessible, bien haut, à son zénith, leur réchauffait de ses rayons la peau, les préservant de la morsure du froid qui les assaillait.
           Siegfried n'était toujours pas revenu et Hilda et Flamme avait décidé d'aller seules, sans plus attendre d'avantage, rendre visite à leur vieille tante Olga, une adorable vieille femme qui les avait toujours couvées comme ses propres filles. Voilà deux longues années qu'elles n'étaient venu lui rendre visite, et comme la tante commençait à se faire vieille, les deux jeunes filles avaient mis un point d'honneur à rompre la solitude de celle qui les avait tant choyé lors de leurs trop rares visites au Palais.
           Siegfried s'était proposé de les accompagner, leur fournissant l'escorte nécessaire à deux personnes de leur rang, mais le jeune homme n'avait pu arriver à temps...

           Alors que, sur la calèche, le vent glacé venait fouetter, dans d'incessantes vagues presque coupantes et brûlantes leur visage, les deux jeunes sœurs avaient décidé de se tenir la main, comme pour se supporter mutuellement, oubliant le froid qui leur tiraillait les traits.

           La demeure de la vieille tante n'était pourtant pas réellement éloignée du château mais le trajet, à cause du froid, était des plus déplaisants.
           Au moment de leur départ, le temps semblait pourtant se montrer des plus cléments et dans l'air, flottait comme un parfum de douceur... C'est pourquoi Hilda, sur l'insistance de sa jeune cadette, avait demandé à ce qu'on les conduise en calèche, sur laquelle elles pourraient profiter, au grand air, du spectacle incroyable que leur offrait Mère Nature et leur terre nourricière: Asgard la Blanche, Asgard la Pure...

           Voilà presque trente minutes qu'elles avaient quitté le château, accompagné par un jeune homme, un certain Syd, qui leur avait été donné de rencontrer à de trop courtes et rares occasions...
           Peu après leur arrivée au palais, il avait insisté pour leur souhaiter en personne la bienvenue et leur exprimer sa joie de les retrouver...

           Ce Syd, garçon de bonne famille, jouissait dans le royaume d'une excellente réputation... On le disait cultivé, vif et fort comme l'auroch... Et bien que ne faisant en aucun cas parti de la garde du Palais, il avait reçu un enseignement militaire et guerrier plus que complet de la main d'un des plus grands généraux du Royaume: un certain Gruber, ce qui faisait de lui l'un des combattants les plus aguerris d'Asgard.
           Et même si, à première vue, on aurait pu déceler chez lui une certaine forme de suffisance, Hilda savait que ce jeune homme éprouvait un réel respect envers les autres, et ce malgré ses nobles origines.

           Alors que la calèche continuait, à train lent, son chemin, les rapprochant à chaque instant de leur destination, la princesse posa discrètement son regard sur le jeune Syd.
           Bien calé sur la magnifique et ouvragée selle de son non moins magnifique cheval blanc, il semblait véritablement rayonner, le regard fier, l'allure droite, l'air confiant.
           Ses courts cheveux verts, peignés avec soin, témoignaient de sa haute condition, signe extérieur de ses origines; alors que ses mains, blanches et délicates dénotaient habituellement de celles qu'arborent en général les combattants comme lui. C'est vrai, ses doigts, fins et longs, étaient plus ceux d'un peintre ou d'un pianiste, voire de quelque autre artiste... et ses ongles, brillants et bien taillés, bien entretenus, témoignaient du soin qu'il devait sans aucun doute, apporter à sa propre personne...
           Dans ses yeux s'agitaient de bien curieuses lueurs, signe d'une incroyable confiance en soi, et semblaient pétiller littéralement, ce qui ne rendait son beau visage que plus attrayant encore.

           Cependant, le jeune cavalier parut soudain soucieux, fronça un sourcil et stoppa net son destrier, avant d'ordonner au cocher de faire de même avec sa voiture.

- Qu'y a-t-il ? demanda Hilda, qui ne s'attendait pas à être ainsi arrêtée.

           Syd plissa les yeux et porta la main à son front, comme s'il désirait voir plus loin encore.

- Je ne sais pas princesse... Peut-être n'est-ce que le fruit de mon imagination mais... C'est comme si j'avais ressenti de légers mouvements de cosmos...
- Voilà qui est étrange... J'aurais moi aussi dû les ressentir non?
- Normalement, oui... répondit le jeune homme aux cheveux verts, dont le visage semblait a présent afficher une certaine inquiétude.

           La sœur d'Hilda, Flamme, saisit avec douceur le bras de son aînée, comme pour que celle-ci la rassure.

- Regardez, même les chevaux semblent avoir ressenti quelque chose! s'écria le cocher, dont les destriers s'agitaient nerveusement.

           C'est alors que cette fois, et clairement, apparurent de très nombreuses sources de cosmos, très différents des uns des autres, et venant de toutes parts, les encerclant totalement.

- Je ne m'étais pas trompé, murmura Syd. On dirait que nos mystérieux hôtes ne vont pas tarder à se révéler à nous, je le crains!
- Oh Hilda... chuchota Flamme, alors qu'elle cherchait à se blottir contre sa grande sœur, trouvant ainsi quelque réconfort dans la chaleur de ses bras.
- Restez silencieuses princesses... et laissez-moi régler cette histoire moi-même... intervint Syd. On ne peut discuter avec ces gens-là.
- Ces gens-là? s'étonna Hilda. Mais de qui voulez-vous bien parler?

           A ces mots, apparurent aux abords des fourrés et des arbres, de nombreuses silhouettes... Apparemment, une quinzaine d'hommes, si ce n'est une vingtaine...

- Des brigands... siffla Syd, entre ses dents... J'avais vu juste...

           En effet, les hommes qui les avaient encerclé avaient tout des bandits de grand chemin, ceux qui interrompent les convois ou qui terrorisent les voyageurs, dans le seul but d'emporter avec eux leur butin...
           Ils brandissaient avec fierté toutes sortes d'armes, aussi bien tranchantes que contondantes et perforantes: des épées, des massues, des arcs et des flèches, auxquels venaient bien sûr se rajouter les sempiternels fléaux et autres lances...
           Tels des prédateurs en quête de chair fraîche, ils toisaient les membres de ce petit convoi avec, dans les yeux, une lueur des plus sournoises...
           Tous grommelaient quelque menace, dans le but d'impressionner leurs future "victimes", de leurs voix rocailleuses et graves...

           Mais c'est une voix bien différente, au ton plus doux, qui s'éleva par dessus toutes les autres:

- Oh? Mais qui voilà? Ne serait-ce pas cette fameuse princesse dont tout le monde a attendu impatiemment le retour?

           Syd, immédiatement, balaya du regard la masse informe que formaient les brigands, dans le but d'identifier celui qui venait de prendre la parole...
           Mais c'est un peu plus en retrait, à l'écart des autres bandits, qu'il retrouva l'homme qui avait pris la parole.

           Derrière, lui, se tenait un autre individu, de stature beaucoup plus impressionnante cependant... Il était si grand qu'il avait tout l'air d'un de ces géants issus de la mythologie et de tous ces contes à dormir debout que l'on raconte aux enfants pour les effrayer.
           Mais ce qui frappa le plus Syd à leur sujet, c'est que de tous deux, émanaient une impressionnante cosmo-énergie, qui n'avait rien à envier à la sienne, loin de là...
           Le plus petit des deux, avait le regard vif et un sourire aux lèvres: un expression que Syd ne connaissait que trop bien puisque c'est celle qu'il aimait arborer en quasi-permanence, se donnant ainsi une certaine confiance en lui...
           Ses cheveux, roux, en bataille, ne s'accordaient pourtant pas avec le reste de sa personne... car c'est comme si on pouvait déceler chez lui quelque noble lignage...
           Il n'était pas réellement grand et ne dépassait sûrement pas, au premier coup d’œil, le mètre quatre-vingt... Et à en juger par la position qu'il adoptait, les défiant du regard, il devait s'agir d'un guerrier des plus accomplis...
           Syd avait appris, au cours de sa formation, à reconnaître un combattant à son seul port... et chez cet homme, cela ne pouvait faire aucun doute.

           Son compagnon, derrière lui, cette force de la nature, avait le regard plus posé, et avait dans la physionomie quelque chose de... reposant...
           Ces longs cheveux, brillants comme l'argent, retombaient sur ses épaules en de fines et raides mèches, lui donnant un air plus placide encore.
           Rien d'agressif ni de moqueur ne transparaissait chez lui, et même son imposante stature, ne parvenait à faire naître, en celui qui le regardait, quelque sentiment d'hostilité que ce soit...

- Que venez-vous faire par ici? continua l'homme aux cheveux roux.
- Cela ne vous concerne aucunement... Nous vous demanderons donc de nous laisser poursuivre notre route... répondit sèchement Syd, dont la protection des deux princesses lui avait été confié.
- Allons bon mon brave... Sache que tout ce qui transite sur cette route nous concerne personnellement, surtout lorsque ce "tout" n'est autre que la princesse Hilda de Polaris! renchérit le voleur.

           Un autre brigand, prit la parole:

- Héhé! Voilà qui est bien dit! Et qui dit Princesse, dit nécessairement "Or" et "Bijoux" ! Ah ah ah ah !
- Oui! C'est vrai! Emparons nous de leur or! s'égosilla un autre.
- Je préfère vous prévenir tout de suite: si vous ne faîtes, ne serait-ce qu'un pas, en sa direction, je vous châtierai comme il se doit! vociféra Syd, qui vraisemblablement, commençait à trouver cette situation plus que tendue.
- Hin hin! C'est ce qu'on va voir! Que pourrais-tu bien faire, seul contre nous tous? demanda l'un des brigands, alors qu'il levait sa lourde massue bien haut.
- Allez-y! Saisissez-vous d'eux! Prenez leur tout ce qu'ils ont! hurla un autre de ces voleurs!

           A ces mots, une dizaine d'hommes s'élancèrent en avant, brandissant, de façon menaçante, leurs lances, haches et autres épées, vers la petite calèche.

- Tant pis, je vous aurais prévenus, bande de chiens! lâcha Syd, fouettant l'air, du tranchant de la main, en direction d'un groupe de cinq brigands.

           Les pauvres diables ne comprirent même pas ce qu'il leur arrivait... et ils s'effondrèrent, frappés de plein fouet, sanguinolents et transis de froid, le corps recouvert de givre...
           Les autres, qui n'avaient pas subit l'assaut, se retournèrent brusquement, fixant d'un air médusé les corps inertes de leurs camarades, mais ne comprirent que trop tard qu'ils allaient subir le même sort.

- Idiots! Vous pensiez réellement que j'allais vous laisser porter la main sur elle? ajouta Syd, blasé.

           Un second coup suivit ces paroles, puis un troisième, accompagnés du bruit sourd de dix autres formes retombant lourdement sur le parterre enneigé.
           Le cavalier ferma les paupières, puis sourit, de sorte à faire comprendre au reste de la "bande" qu'il serait un obstacle de premier ordre...

- Cela suffit-il ou faut-il que je vous frappe tous les uns après les autres? demanda Syd, l'air satisfait.
- Aaaaarghhh! Regardez... Il... Il n'a pourtant porté que trois coups et... balbutia un autre bandit, un arc à la main, et qui était resté en retrait, près des deux hommes qui semblaient leur servir de chefs...
- Pfffff... Trois coups? Avez-vous au moins retenu une seule des leçons que je vous ai enseigné? demanda le voleur à la chevelure rousse.
- C'est... C'est que... continua de bredouiller l'homme à l'arc.

           Le géant aux cheveux d'argent prit la parole et c'est d'une voix posée qu'il ajouta:

- Vous n'avez vu que trois coups... mais cet homme en a en fait porté beaucoup plus! Bien plus!
- Et sa technique est des plus intéressantes d'ailleurs... Il semble capable de cristalliser jusqu'à l'air lui-même... d'où cette fine pellicule de givre autour de ses victimes... continua le plus petit des deux.
- Heimdal ! Laisse moi le transpercer de mes flèches! s'écria l'homme à l'arc, alors qu'il portait sa main droite à son carquois, dans son dos.
- C'est inutile... tes flèches seraient tout aussi inefficaces que ces pauvres imbéciles, pas même capables de reconnaître le danger là où il a lieu d'être... répondit sèchement Heimdal, les yeux fixés, à tour de rôle, sur Syd puis sur Hilda.

           Il n'aurait su dire pourquoi, mais la jeune princesse occupait en ce moment toutes ses pensées... Il ressentait comme un appel... et quelle était cette cosmo-énergie qui se dégageait de cette jeune femme, à priori sans défense?

- Viens Thol, " Nobles Herz " (6) ! Allons chercher nous-même ce qui nous revient de droit... poursuivit Heimdal, un léger sourire aux lèvres.
- Mmmm... Oui, je vois maintenant... je sais qui tu es... le coupa Syd.
- Vraiment? lui répondit le voleur.
- J'avais entendu parler d'un certain Heimdal, un jeune homme de noble souche, dont les actes de rébellion envers l'ordre établi a valu à sa famille de tomber en disgrâce...
- Pffff…Tu ne sais pas de quoi tu parles... lâcha Heimdal, une moue de dédain sur le visage.
- Vraiment? Ne me dis pas que tu n'es pas ce fameux Heimdal tout de même? demanda Syd, un brin provocateur.
- Je le suis, si cela peut te rassurer... Mais je trouve le terme "disgrâce" assez mal approprié, en ce qui concerne ma famille... Car ils jouissent encore tous de nombreux privilèges et sont toujours invités, en de nombreuses occasions, à la cour...
- Je vois... Alors le seul à être tombé en disgrâce, c'est toi? renchérit Syd, qui savait très bien qu'il avait touché là un point sensible...
- Il semblerait, oui... dit Heimdal, avant d'éclater en un puissant rire rauque.
- On dit que tu mènes en bourrique les forces du Seigneur Dolbar depuis déjà trop longtemps... Et nombreux, au palais mais aussi parmi la noblesse, sont ceux qui voudraient te voir pendu en place publique! rajouta Syd.
- Mmmm... parfait! Ainsi, je n'aurai pas à me présenter... Allons-y Thol, il serait dommage de faire attendre notre "princesse"...finit-il.

           Les deux brigands eurent à peine le temps de faire un pas en avant que Syd leur envoya, comme à leur sous-fifres, un violent coup, porté à une vitesse incroyable.
           Le grand Thol repoussa l'attaque, stoïquement, d'un simple mouvement de l'avant-bras, comme si de rien n'était, et continua sa route.

"Grrrr...je crains devoir descendre de cheval si je veux repousser ces deux-là!" conclut le jeune cavalier.

           D'un mouvement gracile, il mit un pied à terre, puis un second, se posant sur le sol comme une libellule à la surface de l'eau.

- Attendez! je vous ai dit que vous n'iriez nulle part! s'écria Syd alors qu'il tentait de s'interposer entre Hilda et ses deux "agresseurs".
- C'est toi qui n'a pas compris, dirait-on. lui répondit le posé Thol, à l'allure impassible.
- Hein? s'étonna Syd, qui comprit soudain que se débarrasser de ces deux gaillards ne seraient sûrement pas une mince affaire.
- Crois-tu réellement être capable de nous ralentir? C'est ridicule! Et je vais te le prouver de ce pas!

           A ces mots, et à une allure fulgurante, le géant se baissa puis se saisit de la jambe gauche de Syd, par laquelle il le projeta plusieurs dizaines de mètres plus loin.

"Comment?" se demanda le jeune garçon aux cheveux verts, alors qu'il "volait", à une vitesse prodigieuse, en direction d'un monticule de neige, contre lequel il alla s'écraser avec vigueur.

           Le choc fut violent... et il lui fallut de longues secondes avant de pouvoir s'extirper, le corps en feu, du tas de neige et de terre durcie dans lequel il avait été envoyé s'écraser...
           Lorsqu'il rouvrit les yeux, il constata avec surprise que le géant, ce fameux Thol, l'avait suivit jusqu'ici... Sans doute avait-il l'intention de l'occuper un maximum pendant que son acolyte se chargerait de la princesse et de ses "biens"...

- Bravo, je vois que non seulement tu possèdes une carrure impressionnante, mais tu es aussi capable de te déplacer à une vitesse incroyable! le félicita Syd, alors qu'il tentait, tant bien que mal, de se remettre debout...
- Et toi je vois que tu es vraiment très bavard... lui répondit Thol, un sourire sur le visage.

           Ce Thol, ce géant, n'avait vraiment rien d'antipathique... Il avait l'air, au contraire, plutôt "rassurant"... Et Syd aurait, avec plaisir, plutôt ri de cette situation si non loin de là, un homme réputé pour être le plus terrible de tous les bandits du Royaume, n'était pas en train de menacer sa souveraine!

- Maintenant, fini de jouer! j'ai une princesse à rejoindre! Alors si tu n'y vois pas d'inconvénient... s'écria Syd, en s'élançant aussi vite qu'il le pouvait afin de passer celui qui lui barrait la route.
- Je te l'ai dit, tu ne passeras pas! vociféra Thol alors qu'il avait plié le bras pour se saisir de Syd par le coup et le stopper en pleine course.

           C'est avec force et fracas que Syd alla s'écraser contre le sol, blanc de neige.

"C'est...C'est impossible! Cette brute est aussi rapide que puissante! " pesta Syd, qui se voyait à nouveau repoussé en arrière, sans qu'il n'ait pu opposer quelque résistance que ce soit.
"Comment vais-je faire pour passer? Comment vais-je parvenir à me débarrasser de cette montagne?!?"

           A une dizaine de mètres de là, Heimdal avait sauté soudainement, atteignant rapidement la calèche, que le cocher tentait désespérément de manœuvrer dans le but de s'enfuir.
           Et c'est d'une vive chiquenaude en plein visage qu'il assomma ce dernier, qui s'écroula sur ses rennes.
           A bord, la princesse Flamme, complètement paniquée, serrait de plus en plus fort, le bras de son aînée, qui, elle, continuait à faire face à la situation avec force et courage, soutenant le regard de celui qui s'apprêtait à la dépouiller, voire pire encore...

- Très bien! Nous voilà seuls à présent, princesse ! siffla le jeune homme.
- Oui, je le vois... mais maintenant, qu'allez-vous faire? User de la force peut-être? lui répondit Hilda.
- Oh non! J'espère ne pas avoir à y recourir... Frapper une princesse serait un outrage des plus grands... ironisa-t-il. Cependant, je vais me voir dans l'obligation de vous "détrousser", si je puis m'exprimer ainsi...

           La belle Hilda ne détourna pas son regard de lui, sans doute plus pour éprouver son propre sang froid que la détermination de celui qui la menaçait:

- Vous pouvez chercher à lever la main sur moi si c'est ce que vous voulez réellement, mais sachez que je ne vous donnerai rien...

           Heimdal se figea... Ce petit bout de femme était-elle en train de le provoquer?

- C'est bien ce que je pensais! Vous avez beau être de sang royal, vous tenez autant à vos malheureux biens matériels, à tous vos bijoux, que tous ces pauvres fous, ivres de richesse! cracha Heimdal.
- Vous vous trompez Heimdal... Ces quelques biens matériels, comme vous dîtes, ces bijoux, ne signifient rien pour moi et ont sûrement bien moins de valeur qu'un seul de mes sujets, aussi misérable soit-il... lui rétorqua la princesse.
- Ils disent tous ça... mais pour eux, tout ce qui compte, c'est de posséder, et de posséder encore, toujours plus...
- Vous faîtes erreur... Votre haine vous aveugle Heimdal... Ouvrez les yeux et vous verrez que ni le blanc, ni le noir, n'existent réellement...
- Le blanc? Le noir? Mais de quoi êtes-vous donc en train de me parler? s'écria le voleur à la chevelure rousse.
- En chaque être humain, il y a du bon et du mauvais... du blanc et du noir... Chez certaines personnes, le noir a fini par s'étendre, pour finalement presque recouvrir entièrement la surface de leur être...
- C'est ridicule! Vous vous contredisez!
- Non...Pas du tout... De ce blanc et de ce noir, naît le gris... Un état entre le Bien et le Mal...
- Voilà une vision bien simpliste des choses! Mais en Asgard, le blanc immaculé de la terre ne parvient pas même à cacher le noir de leurs âmes, à tous, qui exploitent les plus faibles et prospèrent, et ce depuis des générations, sur leur misère! vociféra Heimdal, dont les yeux commençaient à sortir en dehors de ses orbites.
- Mais c'est aussi parce que personne ne leur a encore ouvert les yeux, Heimdal... Il subsiste en chacun d'eux une petite parcelle de blanc qui peut encore s'étendre... une petite flamme qu'il est encore possible de raviver...

           A ces mots, revint à l'esprit du voleur l'image de ce noble, mais aussi de ce père, protégeant du mieux qu'il le pouvait sa famille...

Se serait-il opposé, relevant la tête et faisant face, s'ils avaient cherché à attenter à la vie de sa femme et de ses deux filles?
Ce couard aurait-il donné sa propre vie pour épargner celles des femmes qu'il aimait?
Aurait-il su les protéger mieux qu'il n'avait veillé sur son or et ses misérables biens?


           Il l'aurait fait...


Comment? Quelle était cette petite voix qui venait de lui souffler ces quelques mots?
Etait-ce...? Etait-ce... Hilda?


           Il aurait tout donné pour elles...


Encore... Cette petite voix, ce doux murmure...


           Car il les aime... plus encore que tout l'or du monde...


           Cette voix... Elle raisonnait jusqu'à l'intérieur de lui-même... comme pour répondre aux troublantes questions qu'il ne cessait de se poser. Mais à la fin, comment cette jeune femme pouvait-elle s'immiscer ainsi dans son esprit, lui faisant perdre la tête de la sorte?
           Il se concentra sur le visage de celle qu'il soupçonnait être à l'origine de tout ce mystère... et sa crainte se confirma: alors qu'à nouveau, la voix semblait l'inonder de toute part, les lèvres de la belle princesse restaient désespérément closes...


           Rien n'a plus de valeur que la vie...

           Toutes les pierres et autres diamants ne vaudront jamais plus qu'une seule âme...

           Tu le sais, mais tu refuses de te l'avouer... Heimdal...


- Noooooooon! Ce n'est pas vrai! hurla Heimdal, se portant les mains aux tempes.
- Et pourtant... Tu sais très bien que c'est le cas... Ta soif de justice t'aveugle, abandonne cette haine Heimdal... et laisse toi guider... lui dit doucement Hilda.
- Non, c'est faux! Vous êtes comme eux! Vous vous plaisez dans le luxe et la richesse! Vous vous moquez bien de ceux qui souffrent! continua-t-il à hurler.
- Tu fais erreur... Je n'ai que faire de ces bijoux, regarde.. .ajouta-t-elle, en enlevant un magnifique pendentif qu'elle portait autour du cou, et en le jetant hors de la voiture, dans la neige.

           Heimdal suivit des yeux la course de l'objet, qui alla s'abîmer sur le poudreux parterre de neige.

- Cependant, ne va pas croire que je te le donne. continua Hilda qui tenait sa jeune sœur, terrorisée, contre elle.



           De son côté, Syd ne parvenait toujours pas à trouver la faille. Cet être gigantesque, ce Thol, lui barrait la route, de sorte qu'il ne puisse pas rejoindre celle à qui il devrait jurer fidélité quelques jours plus tard.

- Je dois dire que je n'avais encore jamais rencontré un tel adversaire... Tu es très fort! le complimenta Syd, qui en réalité, cherchait par là à détourner l'attention du Géant.

           Ce dernier fît, brusquement, un pas en avant, puis mît les bras en croix, devant sa poitrine.

- Je n'ai aucunement l'intention de me battre contre toi, lui répondit Thol. Tout ce que je veux, est te ralentir...

           Syd ne put s'empêcher de sourire: il était, dans cette situation, nettement désavantagé... mais après tout, la difficulté ne donnait-elle pas plus de piment aux choses?

- Et bien, dans ce cas, tu ne me laisses pas d'autres choix... s'écria Syd, prenant tout à coup une posture des plus étranges, la main gauche, levée, en avant, et la main droite, en retrait, au niveau du torse.

"Quelle est donc cette posture?" se demanda Thol, remarquant tout autour de lui comme de minuscules cristaux de glace, suspendus dans l'air.

- Ne ressens-tu pas la température s'abaisser dangereusement? interrogea Syd, dont les ongles semblaient tout à coup avoir grandi.
- C'est vrai... Je l'ai aussi constaté lorsque tu as frappé nos hommes tout à l'heure...
- Mais cette fois, tu vas voir que cela sera fort différent... lâcha Syd, dont le corps entier semblait recouvert d'une aura de couleur blanche comme la neige et froide comme le blizzard.
- Non, c'est... c'est incroyable! Au froid produit par sa cosmo-énergie, vient s'ajouter de violentes bourrasques de vent... ajouta Thol, comprenant que le coup que se préparait à lui décocher Syd n'aurait rien de comparable aux quelques coups de griffes qu'il avait réservé à ses hommes.
- Tant pis pour toi! Par les griffes du Tigre Viking! lança Syd, qui se jeta à une vitesse prodigieuse sur son adversaire, les griffes en avant.

           Là encore, le coup fut porté avec force et Thol, malgré son imposante corpulence, fut soulevé dans les airs comme un simple fétu de paille, pour finalement retomber lourdement sur le sol.

           Le jeune cavalier n'eût même pas le besoin de se retourner... Il savait très bien que son opposant venait d'accuser de plein fouet le choc dû à une de ses plus terribles arcanes.
           L'envie de féliciter celui qui l'avait forcé à y recourir lui brûlait les lèvres, mais il se retint tout de même... car déjà, il ne songeait plus qu'à une chose: rejoindre Hilda et Flamme, et les retrouver, l'espérait-il, indemnes...

           Il lui fallu à peine une seconde pour les rejoindre et quel ne fut pas son soulagement lorsqu'il se rendit compte que les deux princesses n'avaient aucun mal...
           Ce fameux Heimdal avait été assez intelligent pour comprendre que porter la main sur des jeunes filles, et princesses de surcroît, aurait été le pire des blasphèmes, même pour un brigand de son espèce...

           Près de la roue avant droite de la calèche, il remarqua un pendentif, presque totalement enfoui sous la neige, et c'est naturellement qu'il se baissa pour le ramasser...

- Non Syd, c'est inutile... l'interrompît Hilda.
- Mais... Princesse? C'est l'un de vos bijoux... bredouilla Syd.
- Je suis heureuse de voir que tu vas bien... Ta vie à toi m'est bien plus précieuse... laisse cette chose là où elle est, veux-tu? continua-t-elle d'un ton calme.

           Le jeune homme ne comprenait pas vraiment où elle voulait en venir... Que s'était-il passé durant sa courte absence? Qu'est-ce que, cet Heimdal et elle, avaient bien pu se dire? Pourquoi tenait-elle tant que cela à abandonner ce pendentif ici?

- Et Heimdal? Où est-il? interrogea Syd, curieux de savoir ce qu'était devenu celui que les autorités du Royaume avait fini par appeler le "Voleur Arc-en-Ciel".
- Il est parti, répondit Hilda... Et je crois qu'il ne nous tracassera plus... du moins plus de la sorte...
- Vraiment? Mais que lui avez-vous donc fait pour qu'il détale ainsi, oubliant son butin auquel il semblait très attaché?

           Hilda ferma les yeux, puis rapprocha le tête de sa sœur contre sa poitrine:

- Je n'ai rien fait... A part peut-être lui ouvrir quelque peu les yeux... Reste maintenant à savoir s'il saura tirer une leçon de tout ceci... continua Hilda, un air mystérieux dans la voix.
- Et toi Syd? demanda la jeune Flamme. Tu es blessé?
- Oh ne vous inquiétez pas princesse, il ne s'agit que de quelques égratignures... Mon adversaire était coriace, mais je suis tout de même parvenu à le vaincre... Il gît d'ailleurs en ce moment même, quelques mètres plus loin, le corps engourdi par le givre... lui répondit l'intéressé.
- Vraiment? Je ne vois pourtant personne par là-bas... ajouta Flamme, passant la tête par delà la lunette arrière de la calèche.

           Syd se retourna immédiatement, afin de vérifier ça par lui-même et c'est à son grand désarroi, qu'il se rendit compte que la jeune Flamme avait raison: le grand Thol ne se trouvait déjà plus à l'endroit où il l'avait laissé, après l'avoir frappé de plein fouet de sa plus terrible attaque.

- C'est à peine croyable! s'étonna-t-il. Les griffes du Tigre Viking seraient capables d'engourdir un mammouth !

           Son étonnement était grand... Certes, il n'avait pas mis dans ce coup toute sa force mais tout de même...
           Savoir que son adversaire n'avait mis que quelques secondes, sinon moins, pour se défaire du givre causé par son attaque, le dérangeait quelque peu, faisant naître en lui des doutes, quant à l'efficacité de ses techniques, en combat "réel"...

           Hilda, elle, malgré cette petite "frayeur", ne pouvait s'empêcher de sourire... sans doute parce qu'en cette après-midi, elle avait rencontré deux personnes formidables, dont elle recroiserait, elle en avait la certitude, très vite la route.


Fin de l'épisode 2...





(1)

Plus vif que le vent



(2)

Plus haut que les montagnes



(3)

Dompteuse de guerriers



(4)

Sang de dragon



(5)

Le loup revêt dans la mythologie nordique un caractère d'instrument ou bien d'ennemi des divinités. Il est intéressant de constater, pour établir un rapprochement avec Fenril, que l'on appelait, dans la société germanique, "Varg" une personne proscrite et qui devait vivre à l'extérieur de la société au risque d'être légitimement tuée sans aucune forme de justice. "Varg" signifiait littéralement "Loup privé de paix", ce qui sied somme toute assez bien au sauvage Fenril.



(6)

Noble cœur



de Kouro