Niffelheim
Épisode 3 : Parole d'étoiles



           Au commencement, avant même le tout début, alors que le monde lui-même n'en était même pas encore à ses premiers balbutiements, il n'y avait rien... mis à part un grand vide... le Néant...
           Au sud de ce Néant, se trouvait une gigantesque terre de feu, que l'on appelait Muspellheim, véritable brasier dont s'échappaient des flammes plus hautes encore que les étoiles et plus chaudes que le souffle brûlant des dragons. Et au nord du vide, se trouvait Niffelheim, région de brume et de glace, monde inférieur gelé et souterrain...
           Là ou se rencontrèrent les deux royaumes, les flammes, ardentes, firent fondre la glace, donnant, en cette occasion, naissance au Géant du froid Ymir. Celui-ci, par peur de la solitude, créa de ses mains une race de Géants, comme lui, qu'il allaita grâce aux pis d'une vache qu'il façonna à partir de la glace, source de vie...
           La bête, se nourrissant de cette même glace dont elle avait vu le jour, finit par découvrir, alors qu'elle léchait goulûment, une créature du nom de Buri.
           Immédiatement après avoir été découverte, celle-ci enfanta un fils (1), du nom de Bor, qui eut à son tour trois garçons, qui, à force d'efforts, finirent par s'élever au rang de dieux, répondant aux noms de Odin, Vili et Ve.
           Dès que les Géants (2), créés par Ymir, prirent connaissance de l'existence de ces humains, qui avaient fini par devenir des dieux, s'éveillant à l'ultime cosmos divin, ils se lancèrent dans une guerre terrible, qui ne prit fin que lorsque Odin et ses deux frères, prirent la tête du Géant du froid (3), leur ennemi.
           Avec son corps, ils créèrent la terre, et avec son crâne la voûte céleste.
           Puis Odin décida de bâtir Asgard, son royaume et celui de tous les dieux, comme les Ases et les Vanes, des humains qui comme lui, parvinrent à s'élever au rang de divinités.
           Le monde des hommes, tout nouvellement bâti, ainsi que tout l'univers qui contenait les divers autres mondes (4), était soutenu par le vénérable Yggdrasil, un frêne géant dont les racines, infinies, s'étendaient jusqu'en Niffelheim, Jotunheim, terre des géants, le monde lui-même, mais aussi en Asgard.
           Il est dit aussi qu'un gigantesque serpent (5) entoure le Midgard, ou la Terre elle-même, retenant les océans, dévorant quiconque tente de s'en échapper...
           Un autre serpent, Nuddhog, géant lui aussi, dévore les racines d'Yggdrasil, qu'il cherche à tuer, afin que la structure entière s'effondre, libérant les Géants et leurs alliés, tapis jusque là dans le Jotunheim, et qui partiront alors à l'assaut des dieux, pour l'ultime bataille... que l'on appelle "Ragnarok".
           La prophétie était catégorique... Odin serait vaincu, ainsi que tous les dieux qui le secondent et les braves guerriers qui auraient combattu pour lui et qui siégeraient à sa grande table, au Walhalla (6)...
           Lorsque ce moment viendrait... Le corps sans vie d'Yggdrasil disparaîtrait pour de bon et le monde entier redeviendrait néant…
           Les dieux, garants des forces de l'Esprit, savaient que les Géants, garants des forces de la matière, finiraient par l'emporter, même s'il ne se passait pas un jour sans qu'ils ne concentrent leurs efforts pour tenter de retarder l'inévitable (7)...
           Odin, au pied du mur, alla quérir l'aide de Zeus, fils de Cronos, lui même enfanté par Ouranos, la voûte céleste, né du crâne de Ymir, mais qui immigra vers le Sud, et de par sa prolifique descendance, s'appropria une majeure partie du monde.
           Zeus avait été humain lui aussi, et bien que pourtant plus jeune que le roi des dieux nordiques, possédait un cosmos des plus rayonnants, qui imposait le respect, même à un être tel que Odin lui-même.
           Le dieu guerrier dut se rendre à l'évidence: les dieux, régissant l'hémisphère sud, avaient su prospérer mieux que lui et ses pairs , même s'ils avaient eu, eux aussi, et comme leurs cousins du nord, leur lot de trahisons et de surprises...
           Et c'est donc contraint et forcé que le fier Odin dut demander l'aide de Zeus, le roi des dieux, maître des terres vertes du sud...
           Réalisant que le destin même du monde était en jeu, Zeus conclut un pacte avec Odin, celui qui, indirectement, avait enfanté le père de son père...

- Tu auras l'aide que tu es venu chercher fils de Bor, cependant, je te demanderai avant tout de m'aider à ton tour... lui dit Zeus.
- Je t'écoute, Cronide. lui répondit Odin. Si cela peut permettre à mon peuple de n'avoir jamais à craindre les foudres des Géants, alors c'est avec joie que j'accepterai ta proposition...
- Sache, fils de Bor, que je rencontre de plus en plus de mal à accomplir la tâche qui est la mienne... continua Zeus.
- Comment? s'étonna Odin.
- En ce moment même, mon colérique aîné, Poséidon, le maître des Océans, cherche à s'emparer du monde des hommes, dont ma fille chérie, Athéna, est la gardienne...
- J'ignorais cela... avoua Odin.
- Cela est bien normal puisque la bataille vient tout juste de commencer... Et heureusement d'ailleurs, car c'est là que tu entres en jeu, fils de Bor.
- Je t'écoute...
- Mon frère, dans sa grande folie, a décidé de maudire les humains, les noyant sous les flots, recouvrant la Terre de trombes d'eau dont il est le maître...
- Voudrais-tu que j'entre en guerre aux côtés d'Athéna? demanda le Dieu des Terres du Nord.
- Non... Je sais très bien que bien que ton peuple soit constitué de braves et vaillants guerriers qui ne connaissent même pas la signification du mot "peur", l'entraîner dans une nouvelle guerre serait l'affaiblir plus qu'autre chose... lui répondit le Roi des Dieux.
- Mais je ne comprends pas... Quels seront mon rôle et celui de mon peuple dans ce conflit? interrogea le fils de Bor, issu de Buri.
- Justement... Aussi étrange que cela puisse paraître, je ne souhaite pas que tu prennes part au conflit, car le danger qui menace tes portes est tout aussi grand que celui que représente mon frère et son armée de "Marinas", comme il les a baptisés... Ce que j'attends de toi est plus simple, si je puis m'exprimer ainsi... Le but de Poséidon est clair: plus que de vaincre Athéna et ainsi remporter la terre, son véritable dessein est de me forcer à venir l'affronter sur son propre terrain, me rendant ainsi terriblement vulnérable...
- Et c'est pour cela qu'il déchaîne sur les terres du sud, la colère des océans... comprit celui qu'on appelait aussi Wotan.
- Très juste, fils de Bor... Et s'il continue ainsi à submerger le monde des hommes, je me verrai obligé de faire ce qu'il attend de moi... c'est-à-dire le défier en combat singulier, un combat dont je ne saurais déterminer l'issue...
- Mais... pourquoi ne pas contrecarrer ses plans? Pourquoi ne pas chercher à contenir la puissance des flots? Tu en as pourtant le pouvoir... rajouta Odin.
- C'est vrai, je le pourrais... mais je deviendrais alors une proie facile pour tout ceux qui complotent dans mon dos et qui ne rêvent, tel l’empereur des mers, que de me voir mort... répondit le Cronide. Cependant, toi, Odin, celui par qui notre dynastie naquit, tu possèdes aussi ce pouvoir...
- Tu voudrais donc que j'endigue la colère des océans à ta place et celle de ton frère? demanda Odin, qui comprit soudain ce qu'allait être la requête de Zeus, de qui il allait être tributaire.
- C'est exact, enfant des glaces... Si tu veux que je t'accorde mon aide, alors tu devras remplir ce rôle, celui de régulateur des eaux de nos deux mondes... Qu'en dis-tu?
- Si j'accepte, je devrais me consacrer entièrement à cette tâche... et plus jamais je ne pourrais fouler du pied le sol sacré d'Asgard, mon royaume... comprit Odin.
- Il serait inutile de te le cacher... Une telle tâche demande à celui qui en a hérité, une totale dévotion... continua Zeus, le cœur lourd.
- Je comprends... Et j'accepte... car si par mon sacrifice et celui de mon peuple, notre monde parvient à échapper à la destruction...
- Je savais que tu accepterais, fils de Bor... Tu es le courage et la droiture incarnés, qualités qui, je dois l'avouer, m'ont bien souvent fait défaut... Mais une promesse est une promesse et si tu tiens celle que tu viens de me faire à l'instant, je tiendrai aussi la mienne et te fournirai la clé de la victoire...

           Ainsi, dès leur entrevue terminée et dès que Odin quitta le mont Olympe pour retourner en Asgard, Zeus alla trouver l'un de ses fils, Héphaïstos, le mythique forgeron , et lui demanda expressément de se mettre au travail, créant pour les plus braves guerriers du Royaume du nord, vingt-quatre habits sacrés, chacun correspondant à une des lettres grecques de l'alphabet, et comparables aux quatre-vingt huit armures aux propriétés fantastiques que lui avait commandées sa sœur Athéna, alors en guerre contre son oncle.
           Le dieu des forges, pour le seconder, alla quérir l'aide des deux nains, créateurs de Mjolnïr, le marteau de Thor, Sindri et Brokk.
           Leurs connaissances de la culture barbare, alliées au savoir-faire légendaire d'Héphaïstos, donnèrent naissance à vingt-quatre armures sacrés, baptisés "habits divins" ou "robes divines", dont les propriétés n'avaient alors rien à envier aux armures créées pour la Déesse de la Guerre.
           Satisfaits de leur travail, Sindri et Brokk prirent alors congé d'Héphaïstos et regagnèrent leur terre gelée, emportant avec eux les vingt-quatre précieuses créations du Dieu des forges, pour les offrir à Odin, comme il l'était convenu depuis le départ.
           Zeus, le Roi des dieux de l'Olympe avait assuré à son aïeul que ses guerriers les plus aguerris, revêtus de ses magnifiques armures, n'auraient aucun mal à contenir l'assaut des Géants, les chassant jusque dans les moindres recoins de leur monde.
           Sans attendre, le dieu des terres du nord choisit parmi tous ses soldats, les plus puissants, braves et loyaux et leur remit à chacun l'une de ses armures, auxquelles il affilia, avec la permission d'Athéna, gardienne des astres, chacune une étoile...
           Dans sa grande bonté, il offrit sept de ces guerriers à la grande prêtresse, qu'il nomma pour le seconder dans son rôle de régulateur des pôles, et qu'il plaça sous la protection de Polaris, l'étoile polaire.
           Ces sept guerriers reçurent pour mission de protéger la prêtresse et sa descendance, alors que les dix-sept autres devraient, au péril de leur vie, protéger leur royaume, le monde et l'univers par la même occasion, du Ragnarok (8)...
           Une fois les tâches réparties, Odin quitta Asgard pour un lieu inconnu, se consacrant entièrement au maintien de l'équilibre, dont dépendait le monde... et plus personne ne le revit alors, si ce n'est la grande prêtresse, qui, de par ses prières, secondait son Dieu, le soulageant d'une infime partie du fardeau qui était à présent le sien...
           Depuis lors, lorsque une nouvelle menace vient planer sur le royaume d'Asgard, fief d'Odin et des autres dieux, les "Guerriers Divins" revêtus de leurs magnifiques armures, réapparaissent et endiguent le mal, ressortant toujours triomphants...



           Le jeune homme ferma, d'un geste appliqué, l'imposant ouvrage qu'il venait, à la va-vite, de parcourir.
           Ce n'était pas la première fois qu'il venait dans cette gigantesque bibliothèque, mais à chaque fois, il finissait par tomber sur un de ces vieux livres poussiéreux et qui le captivait, lui en apprenant toujours plus sur les origines de son royaume et ses légendes.
           Cette version était intéressante, même s'il croyait avoir décelé chez l'auteur de ce texte, un parti pris certain pour les Asgardiens et leur dieu Odin, qui selon lui, serait à l'origine du monde...
           Cela l'amusait toujours autant... Il avait dû lire pas moins d'une vingtaine de versions différentes de la création de notre monde, et à chaque fois, de nombreux points différaient.
           D'interprétation en interprétation, les grands créateurs devenaient tour à tour les Dieux grecs, puis les divinités barbares... et même dans certains cas des bêtes fantastiques ou quelques autres créatures issues de l'imagination sans bornes de leurs auteurs...
           Il ne s'était pas vraiment arrêté sur cette version, comme il avait pu le faire sur les autres, mais celle-ci lui semblait néanmoins digne d'intérêt.
           Cependant, de tous les ouvrages qu'il avait dévoré ces quinze dernières années, aucun ne l'avait autant captivé que "Les contes du nord et du froid", un recueil de récits qu'avait glané, au cours de ses nombreux voyages, l'aventurier Olaf Firkersen, célèbre homme de lettres et figure à présent légendaire en Asgard.
           Tout petit, alors que ses parents étaient encore de ce monde, il lui plaisait de lire et relire certains de ses passages, allongé sur une peau de bête, près de la cheminée dont les braises rougeoyantes le réchauffaient de leur chaleur.
           C'est son père, dix-huitième d'une longue lignée de châtelains des fiefs de l'extrême nord du royaume, qui lui avait donné le goût de la lecture et du savoir.
           Comme il avait pu aimer cette oeuvre, qui l'avait transporté, en cette période dorée qu'était son enfance, en bien des lieux et des époques fantastiques...
           Certains passages, qu'il avait à force, appris par cœur, resteraient à jamais gravés dans sa mémoire...
           C'était le cas de celui-ci, le préféré de feu son père, qui aimait à le lui raconter, en de maintes reprises:


Le père des Dieux, leva les yeux au ciel
Et dans l'immensité de sa longue barbe,
se reflétèrent les étoiles, filles de la Sagesse.
"Tu nous a appelés, ô Odin, enfant de la glace...
Notre mère nous envoie, réaliser tes vœux."
Le vieil homme cligna de son seul oeil,
et leur demanda:
"Je réclame, filles de la Sagesse, issues du ciel,
deux douzaines des vôtres, et une,
pour protéger mes plus braves...
Offrez-leur votre protection, comme toutes ensembles,
vous chérissez les favoris de votre mère,
Prêtez leur puissance, force et vaillance,
Entendez leurs plaintes lorsque leurs larmes
abreuveront le sol du théâtre de leur lutte,
Donnez leur réconfort et chaleur,
Pour qu'à nouveau, ils fassent fi de la peur..."
Et scintillantes, lumineuses, elles répondirent:
"Deux douzaines des nôtres, et une...
Pour couvrir ton peuple de gloire et de fortune...
Les sept, comme tu l'a prévu, iront à ta favorite,
sa descendance, et toute sa suite...
Alcor l'oubliée restera non loin."
Puis aussitôt, tour à tour, chacune d'entre elles s'avança:
"J'ai entendu ta plainte, père des Dieux,
à l’œil hagard et à la barbe fourni,
Moi, Djenah, te prêterai ma force..."
"Et moi, Alresha, mon courage."
"Sirius te secondera."
"Atria te guidera..."
"Sur Sham, tu pourras compter."
"Et sur Altaïr te reposer."
"Alphecca, Capella et Men, te seront fidèles."
"Alphard et Deneb ne trahiront pas."
"Sirrah, la solitaire, jamais ne faiblira."
"Alnaïr et Arcturus seront tiennes."
"Canopus, Achernar et Mira apaiseront ta peine."
D'une seule voix, cette fois, elles poursuivirent:
"Nous te prêtons notre force et notre foi
Puisses-tu y recourir avec sagesse et recul.
Deux douzaines des nôtres, et une,
protégeront tes fils et guideront leurs pas,
Apaisant leurs souffrances et leurs corps las...
Va maintenant, Odin, Père des Dieux,
Tu as une tâche à accomplir, ne l'oublie pas...
Respecte ta parole et nous ne faillirons pas."
Ainsi parlèrent les étoiles, filles de la Sagesse, qui finirent par regagner
leur demeure céleste,
Laissant Odin, seul avec ses armures, à présent baignées
par le cosmos de ces dernières, et dont il allait devoir trouver des porteurs.



           C'était un passage assez long, mais il l'avait entendu tant de fois que chaque mot était à présent gravé au plus profond de sa mémoire.
           Jamais il ne pourrait les oublier, jamais...
           C'est ce texte d'ailleurs, qui était à l'origine du vif intérêt que suscitaient chez lui les armures divines, cédées à Odin par Zeus (ce dont toutes les versions du mythe s'étaient accordées à reconnaître) dans le but de repousser l'attaque des Géants, qui allait bien finir par avoir lieu un jour.
           En réalité, dans le royaume, même si la légende des Guerriers divins, puisque c'était là leur nom, était connue de chaque habitant, peu de gens pouvaient se targuer d'en savoir autant que lui à propos de ces fabuleux guerriers...
           On disait d'eux que de leurs poings, il leur était possible de détruire des montagnes, et que de leurs pieds, ils pouvaient entrouvrir la mer... On disait aussi qu'ils ne réapparaissaient que lorsqu'un grand danger menaçait les portes d' Asgard et que seule leur intervention pouvait inverser le cours des choses...
           Personne ne sait, précisément, combien de fois ils ont réellement dû intervenir, et s'ils ont, ne serait-ce qu'une fois, rencontré les Géants, contre lesquels ils étaient censé se battre, à leur création...
           Toujours est-il, qu'en Asgard, ils étaient sujet à une admiration sans bornes et que le rêve de nombreux petits garçons, était, d'un jour, pouvoir en contempler un, dans sa magnifique armure, issue des étoiles.
           Pour tous, petits et grands, ils n'étaient que mystère, héros courageux et fiers défenseurs de leur peuple millénaire, sujets de somptueuses chansons que leur dédiaient les scaldes, à travers les siècles...
           Mais pour lui, ils étaient plus que cela, beaucoup plus même... et il pouvait se targuer, sans même trop s'en vanter, d'être en Asgard, l'un des plus érudits en la matière...

           Lui-même avait beaucoup écrit à leur propos, et en était arrivé à tirer certaines conclusions, apportant des explications à certaines des nombreuses zones d'ombres qui entouraient encore ces mystérieux héros et leurs armures, plus solides que le diamant, plus pures que le cristal...
           Sur le lien entre les habits divins et leurs étoiles gardiennes, il avait écrit ceci:


"D'après la légende, les sept armures divines, protectrices de Polaris, ne différeraient pas des dix-sept autres, si ce n'est par le fait qu'elles ont été créées en premier, et qu'elles se sont vues attribuées la protection des sept étoiles principales de la Grande Ourse, c'est-à-dire Dubbhe, Merak, Phecda, Mégrez, Alioth, Mizar et Benetnasch...
Immédiatement après avoir été forgées, Héphaïstos, sur ordre de son père, leur assigna à chacune une lettre grecque.
Ainsi, les sept devinrent Alpha, Bêta, Gamma, Delta, Epsilon, Zeta et Eta... avant même de recevoir en elles le pouvoir de leurs étoiles gardiennes.
En nommant ainsi ces armures par des lettres de l'alphabet grec, le fier Zeus s'assura que sa participation à la création de ces habits divins soit connue de tous, mais surtout indéniable, indiscutable...
Ainsi, si ces fameux Guerriers divins, comme ils allaient maintenant s'appeler, parvenaient réellement à retarder, voir entraver la prophétie elle-même, le Cronide (9) ne pourrait que remporter une partie des honneurs, chose, orgueilleux comme il l'était, dont il était friand.
Dès les sept premières armures terminées, Héphaïstos, Sindri et Brokk, se remirent au travail et façonnèrent dans le métal brûlant et la poussière d'étoiles, les dix-sept autres habits divins, qu'ils nommèrent, comme l'on pouvait s'y attendre Thêta, Iota, Kappa, Lambda, Mu, Nu, Ksi, Omicron, Pi, Rho, Sigma, Tau, Upsilon, Phi, Ki, Psi et Oméga.
Il est amusant, aujourd'hui, de constater, que les astronomes, savants et consorts, ont conservé la désignation des sept étoiles de la Grande Ourse, mais qu'ayant opté pour un autre système de classification et de désignation des étoiles, ont préféré rebaptiser les dix-sept autres... leur assignant une lettre en rapport à leur luminosité...
Tout cela est du domaine du détail, soit, mais pourrait expliquer en partie pourquoi la populace, très souvent, retient beaucoup plus facilement l'existence des sept Guerriers divins, protecteurs de Polaris, que celle des dix-sept autres, d'une importance pourtant tout aussi capitale bien entendu...



           Lui aussi, avait été un de ces petits garçons, lui aussi avait plus d'une fois rêvé de voir un de ces guerriers de ses propres yeux, en chair et en os, et non sur une de ces vieilles gravures que les plus âgés se plaisaient à leur montrer...
           Il avait entendu dire, que dans sa famille, certains personnages avaient un jour eu la chance d'être choisis pour revêtir un de ses habits divins et de devenir ainsi l'un des mythiques conquérants de la légende.
           Cela n'avait rien d'étonnant, car depuis toujours, dans sa famille, les hommes semblaient à chaque fois, posséder des dispositions naturelles, exceptionnelles pour le combat... car cela il ne le pouvait le nier: le Cosmos était puissant dans sa lignée...
           Lui-même, n'y faisait pas exception... car depuis des années maintenant, il avait appris à dompter et canaliser cette force que d'autres personnes, au cours de toute une vie, ne pouvaient approcher que de loin...
           En de nombreuses occasions, il lui était même arrivé de s'imaginer dans la peau d'un de ces guerriers, alliant force et finesse d'esprit, puissance et éloquence...

Quelle étoile veillerait sur lui? Quelle armure lui serait offerte, si Odin le choisissait pour faire de lui l'un de ses guerriers?
"Aaaaah, tant de questions auxquelles je n'obtiendrai sans doute jamais de réponse..." finit-il par se dire à lui-même, alors que fatigué, il laissait retomber, nonchalamment, le haut de son corps sur l'épaisse table de bois sur laquelle il avait l'habitude de compulser tous ces vieux livres.

           Comme il avait cette fois le nez tout près de l'imposant volume qu'il venait de refermer, il remarqua qu'une sorte de petit feuillet semblait en dépasser, comprimé entre deux vieilles pages jaunies et abîmées.
           Un tel détail n'aurait sûrement jamais attiré l'attention de qui que ce soit d'autre, mais lui, était très sensible à ce genre de petites choses, somme toute sans importance...
           La curiosité piquée, c'est avec délicatesse qu'il se saisit du petit bout de papier qui dépassait du rebord du livre, et qu'il le tira vers lui.
           Lorsqu'il l'eut totalement ramené à lui, le dégageant ainsi de son étouffante prison, le jeune homme se rendit compte que le feuillet en question était, à en juger par son état plus que décrépi, bien antérieur à l'épais ouvrage dans lequel il avait fini.

           Les lettres à sa surface, avaient, de par l'usure du temps, été presque totalement effacées et certaines d'entre elles semblaient même avoir complètement disparues...
           De plus, l'écriture, fort ancienne, à en juger par la forme des mots, de leurs pleins et de leurs déliés, ne ressemblait en rien à ce qu'il avait déjà pu voir...
           Quel était donc cet étrange langage? Qu'est-ce que ces mots pouvaient bien signifier?
           Il réfléchit durant de longues secondes et se rappela avoir déjà vu une écriture similaire à celle-ci, il y a quelques années, alors qu'il étudiait à l'Université de Saalsbruk, éminent établissement, réservé à une élite fortunée issue de la noblesse, véritable référence en matière de langues étrangères...
           Le "Nain", il est vrai, était un dialecte très proche de celui qui figurait sur le feuillet... En bien des points, tout concordait: la forme des lettres, par exemple, massives et franches, sans pour autant en être dénuées de tout esthétisme ne pouvait que faire naître en celui qui les avait sous les yeux, un étrange parallèle entre ces deux langages...
           Mais après tout, peut-être s'agissait-il d'une seule et même écriture? Peut-être, avait-il sous les yeux un texte rédigé en "nain", mais comportant quelques légères différences, codant celui-ci, de sorte que celui qui entre, par inadvertance, en sa possession, ne puisse en saisir le contenu...?

"Voilà qui est intéressant... Qui sait? Après tout, peut-être s'agit de quelque document de valeur? Peut-être même, changera-t-il ma vie? Hahahaha!" se dit-il, ironique... comme il l'aimait à l'être lorsqu'il se parlait à lui-même.

           Décidé à étudier cela de plus près, et surtout à l'abri des regards, il glissa le vieux bout de papier dans l'ouverture de son gilet. Un discret sourire vint éclairer sa mine fatiguée par tant d'heures de lecture et dans ses yeux, se mirent à danser d'étranges lueurs.
           Il tira sa chaise en arrière, il était temps pour lui de partir. C'est alors qu'apparut soudainement, sortant de derrière une imposante étagère, la bibliothécaire.

           Il réprima un léger sursaut. Il était capable de détecter n'importe quelle source de cosmo-énergie à plus de cent mètres à la ronde, et pourtant, jamais il n'avait réussi à ne pas se faire surprendre par cette vieille femme.
           Il devait bien l'avouer, il ne ressentait pour elle aucune forme de sympathie que ce soit. Déjà, tout jeune, lorsqu'il faisait ses premiers pas dans l'adolescence, et qu'il venait au château, accompagné de son père, cette "sorcière", comme il aimait à l'appeler, lui flanquait une peur bleue.
           De petite taille, aussi ridée et rabougrie qu'un noyau, elle était loin d'inspirer la confiance; ses petites mains aux doigts crochus et tordus rappelaient sans équivoque les serres d'un vautour et ses cheveux blancs, filandreux, ramassés en un désuet chignon à l'arrière de son crâne, appuyaient cette sensation de malaise que l'on pouvait ressentir lorsqu'on posait ses yeux sur elle.

           Frottant ses deux mains l'une contre l'autre, dans un geste des plus lents, elle se courba de plus en plus, pour finalement amener son disgracieux visage au niveau de celui du jeune homme.

- Voilà que je vous y reprends ! pesta-t-elle, dégageant dans l'air comme une odeur de naphtaline.

           Le jeune garçon recula légèrement, faisant crisser les pieds de sa chaise contre le sol marmoréen.

- Euh... Comment? s'étonna-t-il à moitié.
- Une fois de plus, vous vous apprêtiez à partir sans vous soucier de remettre à leur place les ouvrages que vous avez compulsés ! grogna la vieille femme, assaillant, de son index déformé et long, et par violents à-coups, l'épaule droite du "coupable".

           Celui-ci sourit. Il croyait avoir été découvert et se voyait déjà remettre, confondu tel un voleur pris la main dans le sac, sa "précieuse" découverte.

- Oh? J'allais justement m'atteler à leur rangement... Après tout, des livres en bon état sont avant tout des livres rangés. continua-t-il, faussement.

           La vieille femme recula immédiatement sa tête, ce dont le jeune homme ne se plaignit d'ailleurs pas, trouvant là un peu d'air frais.

- Hum... Vous êtes malin... cela, j'ai déjà pu m'en rendre compte, mais sachez que je vous tiens à l’œil, monsieur... commença-t-elle, de l'acide dans le regard.

           Rapidement, il passa une main à son front, et de l'autre, tâta, à travers son gilet, le fin morceau de papier qu'il venait de subtiliser.
           La vieille femme, quant à elle, semblait chercher le nom de celui qu'elle haranguait...
           Et c'est au bout de plusieurs secondes qu'elle reprit, posant à nouveau son regard de serpent sur lui:

- Ah oui, je me souviens maintenant... Monsieur Albérich !



           Alors que le froid, glacial, coupant, semblait éprouver un malin plaisir à les torturer, rendant encore plus pénible le sort qui était le leur, l'homme tâchait, tant bien que mal, de se mettre au devant des coups, protégeant de son corps déjà ensanglanté celle qui était avec lui. Ses vêtements, sous les incessants impacts, avaient déjà commencé à se déchirer et à ne plus le protéger aussi efficacement.
           La pointe du fouet, tel une anguille, venait danser tout autour de lui, le frappant avec force, lui déchirant à présent la peau, au moindre contact, ne serait-ce que très court.
           La femme, à ses côtés, protégée comme elle l'était par le corps de celui qui était sans aucun doute son mari, avait déjà, et ce depuis de longues minutes, éclaté en sanglots, accompagnant de ses plaintes les cris de douleur de son époux.

- Aaaaargh! je vous en supplie! Laissez-nous la paix mon seigneur! Nous ne faisions rien de mal! hurla le pauvre homme.

           L'individu qui le frappait, son bourreau, retint quelques instants son bras, sans doute préférait-il laisser à celui qu'il châtiait le soin d'écouter ce qu'il allait lui répondre:

- Rien de mal? Tu oses me soutenir que toi et ta femme n'étiez pas en train de commettre un acte des plus répréhensibles? Serais-tu en train de te moquer de moi, chien?!?

           Dans ses yeux, semblaient danser les flammes de la folie, et une rage sans borne déformait horriblement ses traits, transformant le noble visage qu'on lui devinait sans mal en une sorte de masque informe, reflet de sa propre hargne.
           Ses yeux, d'un magnifique vert émeraude, se chargeaient de minuscules veinules, rouges comme le sang.
           Sa bouche, que l'on pouvait deviner, en temps normal, délicate, venait se déformer en une horrible grimace, laissant apparaître des dents blanches et bien alignées, semblables aux canines aiguisées d'un molosse.
           Ses très longs cheveux, descendant jusqu'à la taille, d'un noir de jais profond comme la nuit, étaient librement ballottés par les vents violents qui venaient s'abattre sur eux, leur gelant les os.
           Sa légère armure de cuir clouté, usée par les rigueurs de la vie, ne faisait que souligner cette férocité qui se dégageait de lui, et son poing droit, serré, tenait fermement un long fouet de cuir brun, dont l'extrémité, cela ne faisait aucun doute, était tâchée de sang frais, comme de sang séché.
           Puis, affichant un large sourire, emprunt aussi bien de sadisme que de rage, il se remit à frapper... pas aussi fort qu'il l'aurait pu cependant, car tuer cet homme, ne semblait pas être son but, si tant est qu'il en eut un.

           Tout le corps de sa victime, les plaies à vif et dans lesquelles venait s'insinuer le froid, n'était plus que douleur.
           Ses chairs découvertes, rouges, brûlantes, témoignaient sans équivoque de la douleur qui s'était à présent emparé d'elles, crispant ses membres et figeant son corps meurtri, le rendant semblable à celui d'un petit animal, mort d'une tétanisante peur face à un prédateur trop effrayant.

- Pi... Pitié... articula l'homme avec peine.
- Pitié? Parce c'est, d'après toi, ce que je devrais ressentir pour deux larves de votre espèce, prêts à enfreindre l'une des règles les plus strictes de notre royaume? lui répondit avec ironie son bourreau.
- Mais... nous ne cherchions qu'à... Là-bas, en Uutgard (10), les pâturages sont encore verts, les rigueurs du climat ne sont pas... pas aussi sévères qu'ici et... continua à bredouiller l'homme.
- Pfffff... C'est ridicule! Aller chercher chez nos ennemis ce que Asgard, notre mère-patrie, te refuse à cause de ta trop grande faiblesse, est là la preuve de ta couardise! s'écria l'homme au fouet.
- Uutgard ne connaît pas les mêmes problèmes que nous! Les gens, de l'autre côté de la frontière, ne se meurent pas de faim... sanglota-t-il, alors qu'il continuait toujours à protéger sa femme.
- Ahaha! Que crois-tu que les Uutgardiens vous feront, lorsqu'ils vous trouveront sur leur terre, toi et ta femme? demanda, rageur, le soldat.
- Je ne le sais mon seigneur, mais je sais cependant une chose, c'est que jamais je ne laisserai ma femme mourir de faim et de froid... Je préfère encore mourir là-bas, libre, qu'ici et misérable... lui répondit le malheureux, grelottant.
- Si tu savais comme je peux haïr ceux de ton espèce! Tu te dis Asgardien et pourtant tu n'hésites pas à braver l'une de nos lois les plus sacrées, en t'enfuyant, pour aller trouver asile chez nos ennemis! Je pensais t'épargner, et te conduire chez Tyr où tu aurais pu être jugé mais je me rends compte que laisser la vie sauve à une larve de ton espèce serait commettre une erreur bien pire encore que de te laisser partir pour cette terre maudite! grogna le jeune homme aux longs cheveux noirs comme la nuit.
- Oh non... je vous en supplie... je ne peux pas abandonner ma femme... je suis tout ce qui lui reste! implora l'homme, en pleurs.
- Ne t'en fais pas pour elle! Je saurais quoi faire de ta moitié, ne t'inquiète pas, héhé! continua-t-il, un sourire mauvais sur le visage.

           L'homme, alors que son bourreau, dans un geste des plus lents, levait à nouveau le bras dans le but de lui porter un dernier et ultime coup, ferma les yeux, conscient de sa mort prochaine.
           Il murmura tout de même, à celle qu'il aimait, ces quelques mots:

- N'aie crainte Yva, le seigneur Odin saura te protéger mieux que je n'ai su le faire... pardonne-moi...

           En réponse, la jeune femme se contenta de serrer, fortement, la main ensanglantée de son époux.
           Elle ne lui avoua pas à ce moment, mais déjà, en elle, s'était formé le désir de s'éteindre par elle-même, si jamais celui qu'elle aimait venait à mourir...

           Soudain, brisant le léger silence qui s'était abattu sur cette triste scène, des paroles remplies de haine et de rage retentirent, tel un coup de canon:

- Maintenant meurs, chien galeux! Et que les corbeaux se nourrissent de ta carcasse!

           Un bruit succinct fit écho à ces paroles, semblable à celui d'une lanière de cuir, pourfendant l'air, suivit d'un autre bruit, cette fois comparable à celui de cette même lanière, pénétrant la chair.

           L'homme, toujours les yeux fermés, attendit quelques instants avant de se décider à les rouvrir...
           Etonnamment, aucune douleur, hormis celle qu'avait insinué en lui les précédents coups, ne semblait l'avoir tiraillé.
           Et pour cause, car lorsqu'il ouvrit les yeux, le fouet du soldat était entouré autour de l'avant-bras d'un autre homme, qui semblait l'avoir arrêté dans sa funeste course.

           Il semblait, à première vue, aussi jeune que celui qui les avait torturé, lui et sa femme, et contrairement à celui à qui il faisait face, son regard, d'un bleu profond, ne reflétait que le sens de la Justice et énormément de bravoure.
           Ses longs cheveux blonds et incroyablement raides, contrastaient étonnamment avec la chevelure de l'homme au fouet, sombre comme le néant.
           Du sang s'écoulait de son avant-bras, à l'endroit même où le fouet l'avait atteint, mais aucun signe extérieur de souffrance n'était visible en lui.

           Le soldat fit immédiatement un pas en arrière, tendant ainsi, entre lui et celui qui venait de s'interposer, le fouet dont il se servait comme arme.

- Aaaargh! Haagen! J'aurais dû me douter que tu reviendrais bien un jour traîner dans mes pattes! siffla l'homme, la mâchoire serrée.
- Cela fait longtemps que nous ne nous sommes vus, Uller...et je te retrouve à martyriser un pauvre malheureux... Ce que l'on raconte sur toi est donc vrai... lui répondit posément Haagen, un air triste au fond des yeux.
- Voyez-vous ça... Je serai justement heureux de connaître "ce qu'on raconte à mon sujet"...
- J'avais entendu dire que Dolbar et Tyr avaient fait de toi leur chien de garde, t'envoyant aux limites du Royaume, traquant et punissant les pauvres gens qui cherchent à fuir cette terre de mort... continua le jeune homme aux cheveux blonds.
- Que veux-tu? Il faut bien que quelqu'un fasse le sale boulot... ironisa Uller.
- En tous cas, tu ne tueras pas cette homme... pas tant que je serai là Uller...
- Ooooh? Serait-ce une menace? Le "cheval fou", comme on l'appelle, chercherait-il à me défier? s'écria le soldat au fouet, moqueur.

           Haagen, aux cheveux d'or, ne répondit rien à cette question, car cela, après tout, ne méritait peut-être même aucune réponse.
           Le jeune homme se contenta de fermer doucement les yeux, semblant chercher en lui quelque étrange force, et soudain, alors qu'une aura de couleur blanche se mettait à l'entourer de part en part, la partie de l'arme de celui qui lui faisait face, et qui lui cerclait l'avant-bras, parut se transformer en glace...

- Qu...Qu'es-tu en train de faire Haagen? demanda Uller, étonné.
- Te rappelles-tu de notre promesse Uller?
- Notre... Notre promesse? Mais... mais de quoi es-tu en train de parler? s'étonna le soldat.

           Il aurait voulu ne pas s'en rappeler, c'est vrai... mais, comme Haagen, ce guerrier chevelure d'or, qui avait grandi avec lui, il avait conservé, dans un recoin de sa mémoire, les souvenirs de ces moments passés ensemble, derniers vestiges d'une époque révolue.
           Même si sur le moment, les deux jeunes hommes n'éprouvaient plus l'un pour l'autre que la plus franche des hostilités, il n'en avait pas toujours été ainsi puisqu'ils avaient grandi ensemble, devenant très vite d'excellents amis, des frères...

           Alors que sa famille, issus de nomades Uutgardiens, avait été décimée par une escouade de soldats Asgardiens qui passaient par là, le jeune Haagen, alors âgé de deux ans tout au plus, seul survivant du massacre, fut recueilli par le seul membre de l'unité dont le cœur n'était pas aveuglé par la haine de l'ennemi, contre lequel, à l'époque, le Royaume était en guerre. Cet homme, simple soldat, ramena avec lui l'enfant qu'il éleva comme son propre fils, la chair de sa chair.
           Veuf, et bien qu'il fut déjà le père d'un autre enfant, du même âge, et dénommé Uller, il fit don à Haagen de tout l'Amour dont un être humain peut faire preuve.
           Il entreprit, dès leur plus jeune âge, d'enseigner à ses deux "enfants", tout deux étonnamment doués pour des garçonnets de leur âge, l'art de la guerre.
           C'est avec surprise qu'il constata que les deux garçons semblaient développer un cosmos qui, même s'il était alors, quasiment imperceptible, était plus qu'inhabituel chez des enfants de cet âge.
           Très vite, les deux jeunes garçons parvinrent à s'éveiller à cette puissance qui sommeillait en eux, même si malgré tout, leurs efforts pour dépasser ce simple stade les poussaient très souvent aux limites d'eux-mêmes.
           Mais, alors qu'ils allaient tous les deux sur leur huitième année, leur "père" mourut au cours d'une "mission" durant laquelle il avait été envoyé, au sein d'un groupe d'éclaireurs, glaner des informations sur les troupes ennemies du royaume voisin.
           Les deux jeunes garçons, alors, sans aide aucune, durent se débrouiller par eux-mêmes et c'est à force d'efforts et de sacrifices, qu'ils furent recueillis par une unité de soldats en déclin, à l'embonpoint trop important et aux capacités limitées par leur trop pauvre mobilité, bien heureux de trouver en ces deux "microbes", comme ils aimaient à les appeler, deux serviables larbins.
           Dans la peine, les liens, déjà très forts, qui unissaient les deux orphelins, se resserrèrent pour finalement devenir plus solides encore que le plus pur de tous les cristaux... du moins le pensaient-ils.
           Malgré toutes les corvées qu'on leur imposait, ils décidèrent de ne pas négliger leur entraînement pour autant et continuèrent, sans relâche, à éprouver leurs aptitudes, devenant de jour en jour plus forts...

           Un soir, alors qu'ils avaient battu des poings et des pieds durant de longues heures, sans relâche, ils avaient décidé d'attendre un peu avant de regagner le baraquement où ils séjournaient.
           Tous les deux assis sur d'imposants rochers, le regard fixé sur la voûte céleste alors illuminée, ils contemplaient les étoiles, ces demoiselles en tenue dorée, majestueuses, presque hautaines.
           Ce jour-là, Haagen, en frappant dans un tronc d'arbre, s'était entaillé la main et depuis des heures alors, la douleur le tenaillait, comme pour lui rappeler à quel point il était encore faible et que le jour où il serait capable de briser un tel tronc sans se blesser ainsi n'était pas encore arrivé...
           Uller, les deux coudes en arrière, son regard de jade fixé vers cette magnifique toile que peignaient devant lui les astres, se plaisait à rêver, s'imaginant être un grand guerrier, puissant, craint et reconnu.

- Tu verras Haagen, bientôt nous aussi, nous serons capables de telles prouesses... Bientôt, tout le monde connaîtra Haagen et Uller comme les égaux des plus grandes légendes de notre Royaume... s'écria le jeune garçon, coupant net le voile de silence qui s'était abattu sur eux.
- Oui... Nous nous entraînons sans relâche pour devenir ceux que notre père aurait tant voulu faire de nous... répondit doucement Haagen, qui massait avec force sa blessure préalablement entourée d'un morceau de sa tunique qu'il avait déchiré en bande.
- Même les valeureux Nordr et Volken ne seront pas de taille... La seule évocation de notre nom à tous deux fera naître en nos ennemis la plus indicible de toutes les peurs, le plus terrifiant de tous les désarrois! continua Uller.
- Nous deviendrons, tel notre père, de vaillants protecteurs d'Asgard... renchérit le garçon aux cheveux blonds.
- A jamais nos noms resteront dans l'histoire, comme ceux des deux plus grands héros de tous les temps... et comme les puissants combattants qui auront à jamais éloigné la menace Uutgardienne... poursuivit son compagnon, son "frère", la mâchoire serrée.

           Haagen, à ces mots, eut comme un léger mouvement de recul. Sans doute ressentait-il quelque culpabilité à appartenir à ces "barbares", comme aimait à les appeler Uller, responsables de la mort de celui qui l'avait recueilli et à ce qu'on disait, déclencheurs de la guerre qui ravageait alors les deux contrées voisines.

- Je... Tu sais très bien que je suis l'un d'entre eux... bredouilla Haagen, comme honteux de ses véritables origines.

           Uller, alors, se tourna précipitamment vers son ami, et lui saisit avec force les épaules, pour finalement le secouer violemment:

- Ne dis pas n'importe quoi! Tu n'es pas l'un d'entre eux! Tu as été élevé tel un Asgardien et non comme ces chiens qui ne vivent que pour le carnage! Si Odin t'a enlevé à eux, c'est au contraire parce qu'il y a une bonne raison à cela! Tu n'es pas l'un d'eux Haagen! Tu es mon frère, tu entends? Mon frère! vociféra le garçon aux cheveux nuit.

           Mais Haagen, déjà, avait baissé le regard, cherchant ainsi à se soustraire aux paroles de son ami, qui l'exhortait à ne pas dire de telles choses.

- Mais que suis-je? J'ai été élevé par des Asgardiens et pourtant, le même sang que celui de nos ennemis coule dans mes veines, et ce jusqu'au plus profond de moi-même... Peut-être ne suis-je qu'un faible? Peut-être est-ce pour cette raison que je ne parviens pas à atteindre ta force Uller...?
- C'est absurde! Ta force vaut la mienne! Odin, tous les deux, nous a choisi, et a pour nous une mission capitale: débarrasser Asgard, jadis terre des Dieux, du fléau ennemi ! cria Uller à son frère, continuant à le secouer de toutes ses forces, comme si un tel procédé pouvait lui remettre les idées en place.
- Uller... tu as une telle force en toi... balbutia Haagen.
- Un jour Haagen, je te le redis, nous nous élèverons plus haut que tous les autres et nous deviendrons les plus grands guerriers que la Blanche ait jamais connu! Cette force, je te fais la promesse de l'acquérir et ainsi de protéger tous ceux qui me sont le plus cher ! Promets-moi la même chose Haagen, promets-le moi mon frère!!! continua Uller, crispant son étreinte tout autour des épaules de celui qu'il considérait comme son cadet.

           Le jeune garçon aux cheveux blonds, alors, serra les poings avec force, lui arrachant un léger râle de douleur, puis relevant les yeux, plongea son regard azur dans celui de son ami et lui répondit ceci:

- Je t'en fais la promesse Uller, mon frère...

           Le soldat, en un geste des plus rapides, s'empressa de ramener à lui son fouet, dont l'extrémité, gelée comme elle l'était, se brisa en de multiples morceaux.

- Tu serais donc parvenu à maîtriser ces fameuses techniques de glaciation? Toutes mes félicitations mon cher Haagen! lâcha Uller, un rien étonné.
- Rien de plus simple pour qui sait s'éveiller à la véritable nature de son cosmos... J'ai même d'autre cordes à mon arc. rajouta-t-il, faisant apparaître tout autour de son poing gauche de rougeoyantes flammes, qui semblaient danser tout autour de son membre, sans pour autant l'en mutiler.
- Oh? Comme c'est amusant! De la glace et des flammes! Tu tiens plus du prestidigitateur que du guerrier il me semble, non? se moqua Uller.
- Si tu en es arrivé à me railler de la sorte, alors c'est qu'effectivement, tu es descendu plus bas encore que ce que j'avais imaginé... lança Haagen.
- Des mots si doux... Après tant de temps passé loin l'un de l'autre... voilà qui me touche, vraiment, petit frère... siffla le soldat.
- Le Uller dont j'étais le frère, semble avoir disparu, en même temps que sa chaleur et sa bravoure... lui répondit le guerrier chevelure d'or.
- Pfffff... Tu tiens toujours, comme par le passé, des propos plus qu'incohérents.. .pesta Uller, jetant son fouet abîmé à terre, pour ensuite se saisir d'un autre, qu'il avait à la ceinture. Mais puisque tu viens, dans ta grande "bonté", de me faire une petite démonstration de tes talents, laisse moi, à mon tour, te montrer de quoi je suis capable...

           Uller, en une fraction de seconde, laissa alors exploser son cosmos, et d'un rapide coup de pied au sol, projeta un épais nuage de neige en direction de son adversaire.

"Il cherche vraiment à me surprendre avec un tel stratagème?" se demanda Haagen, qui avait alors fait un pas sur le côté, de sorte à ne pas s'exposer à l'attaque de son rival, qui allait bientôt suivre.

           Rapidement, il se retourna, pensant trouver tout de même dans son dos celui qui avait été, durant de longues années plus qu'un ami, prêt à lui asséner un violent coup, mais il ne trouva personne.

           Une sorte de froissement, dans l'air, lui fit relever soudain la tête, levant ses deux yeux bleus au ciel, mais il était déjà trop tard.
           Une forme, par le haut, venait de s'abattre sur lui, le sonnant d'une légère chiquenaude portée tout de même à la vitesse du son, pour finalement enserrer son cou d'une épaisse lanière de cuir.
           Haagen dut bien le reconnaître: la diversion de Uller avait eu les effets escomptés car si, trop confiant, il avait cru sans mal déceler la faille, il s'était fait avoir comme un enfant.
           Son adversaire n'avait jamais cherché à l'attaquer par derrière, puisque dès le départ, il avait choisi de fondre sur sa proie par la voie des airs.
           Alors que la pression tout autour de son cou se faisait de plus en plus forte, Haagen sentit monter en lui une sorte de colère sourde, une colère contre lui-même qui, même des années d'entraînement faisant, n'avait toujours pas réussi à combler le fossé qui séparait leurs deux forces.

- Alors Haagen? Toujours aussi fier? On dirait bien que non pourtant... s'esclaffa Uller, dont l'arme resserrait à chaque instant un peu plus son étreinte.

           Le jeune homme aux cheveux d'or, le visage à présent écarlate, les yeux révulsés, tentait tant bien que mal, tirant comme un forcené sur l'instrument qui lui infligeait tant de souffrance, de happer quelque bouffée d'air, qui lui aurait alors été salutaire, lui laissant quelques instants de plus afin de trouver comment s'échapper de cet étau.

- Ahahaha! Voilà donc le cheval fou! Si tu veux mon avis, tu tiens plus du poney que de l'étalon ! hurla Uller, un air de folie dans les yeux, aussi bien que dans la voix.

           Son air réjoui se dissipa bien vite lorsque, sur sa cuisse droite, il ressentit comme une terrible brûlure, pénétrant ses vêtements comme sa peau, marquant à jamais cette partie de son corps d'une empreinte caractéristique...: celle d'une main.

- Si tu tiens à pouvoir... à pouvoir un jour te resservir de cette jambe, je... te conseille de... de me lâcher immé... diate... ment... tenta de dire Haagen, qui avait concentré dans ce geste ses dernières forces.

           Dans un hurlement de douleur, Uller, comme le lui avait demandé son adversaire, se retira presque aussi vite qu'il n'avait fondu sur lui, libérant ainsi le cou alors meurtri de sa victime.
           Le guerrier aux cheveux bruns, se porta sans attendre les mains à sa cuisse blessée et ne put que constater à quel point la chaleur que pouvait dégager Haagen était importante!
           Du sang, à l'endroit même de l'empreinte, ruisselait abondamment, coulant le long de sa jambe, tâchant la neige de nombreuses gouttelettes pourpres.

- Argg... keuf! keuf! Je t'avais prévenu Uller... haleta Haagen qui tentait alors de reprendre son souffle, se massant en même temps le cou, sur lequel la lanière du fouet avait laissé une bien profonde trace.
- De toute façon, je n'avais pas pour intention de te tuer petit frère... mentit Uller.
- Je te l'ai déjà dit: je ne suis plus ton frère! s'écria Haagen, les dents serrées.

           Le couple de fuyards, au sol, transis de peur, s'était contenté de regarder la scène, les membres comme paralysés par le froid et la terreur. Leurs yeux, cependant, s'illuminèrent, alors que Haagen leur lançait un de ses doux regards, pour finalement s'adresser à eux en ces termes:

- Allez-y maintenant... Partez! Quittez cette terre désolée et puisse Odin guider vos pas jusqu'à de quoi vous nourrir à votre faim et un toit où passer la nuit...

           Uller, immédiatement, fit un pas en avant, s'apprêtant à les empêcher de se relever, mais derrière lui, il sentit à nouveau le crépitement de flammes qui semblaient s'élever, plus brûlantes encore que les quelques flammèches qui venaient de lui dévorer la peau.
           Sans se retourner cependant, il dit:

- Haagen...Que fais-tu? Te rends-tu compte que ces deux renégats sont en train de violer l'une de nos lois les plus élémentaires?
- Parce que pour toi, chercher de meilleurs jours ailleurs, c'est aller à l'encontre des valeurs de notre royaume? demanda son rival.
- Gggg...Tu sais très bien, tout comme moi, que le Seigneur Dolbar a interdit à quiconque de quitter nos frontières! s'exclama Uller, l'écume aux lèvres.
- Il est facile pour le grand prêtre, lui qui n'a pas à se soucier de la nourriture qu'il trouvera dans son assiette le soir et du toit qu'il aura sur la tête, d'imposer de telles lois! rétorqua Haagen avec véhémence.
- Encore un mot de plus et c'est toi que je châtierai pour violation de nos lois! Tu es en train d'encourager deux vermines à déroger à l'une de nos règles fondamentales! C'est toi à présent qui risque d'être considéré comme "hors-la-loi" !
- Et bien soit, si ta colère et ton amertume à mon égard peuvent en être réduites et si ces deux malheureux peuvent alors gagner une terre plus clémente, alors dans ce cas, je veux bien être catalogué comme tel... lui répondit le jeune homme aux cheveux blonds.

           De leur côté, déjà, les deux fuyards s'étaient relevés, même si cela avait été avec difficulté, et s'apprêtaient à prendre le chemin de la frontière, à peut-être un mile ou deux tout au plus, de là où les avait arrêté le soldat.

- Regarde, fou! Les voilà qui s'enfuient! Et ce, par ta faute! pesta Uller.
- Grâce à moi, au contraire, ils trouveront peut-être le salut qu'ils recherchent tant...
- Sache que Tyr, lorsqu'il sera mis au courant de ton acte, te fera juger, puis pendre en place publique! Et même tes relations au palais, ne pourront alors rien pour toi!!! cracha le soldat au fouet.
- Je ne crains pas le juge... pas plus que je ne te crains toi... lui répondit calmement Haagen dont le visage paraissait moins écarlate que quelques secondes auparavant.
- Et bien tu as tort petit frère... Car lui saura te faire regretter ce stupide élan d'héroïsme qui te mènera à la potence! Et sache que lorsque ce jour viendra, je serai le premier à venir cracher sur ton cadavre!

           Haagen se contenta de fermer les paupières... Et dire que durant tant d'années, ils avaient été amis, compagnons, frères même... et qu'à présent seul la haine qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre semblait nourrir leurs rapports.

           Il n'était, à cette époque, pas exagéré de dire qu'ils étaient tout l'un pour l'autre, Uller allant au devant des corrections que leur infligeaient les épaves et autres saoûlassons de la caserne, à la place de son frère; et Haagen n'hésitant pas à, à la moindre occasion, soutenir Uller dans les moments les plus durs...
           Personne ne les connaissait mieux qu'ils ne se connaissaient eux-mêmes, car d'ailleurs, insignifiants comme ils l'étaient alors, personne ne prenait la peine de s'intéresser à eux.
           Lorsque c'est Uller qui recevait les coups, c'est Haagen qui éclatait en sanglots et lorsque c'était au tour de Haagen d'être maltraité, c'est Uller qui en souffrait le plus.
           Leur Amitié, leur Amour, était alors tout ce qu'il leur restait et pour rien au monde ils n'auraient accepté d'y faire entorse.
           Leurs chemins, confondus, finirent cependant par se séparer, le jour où pour la première fois, ils rencontrèrent, alors qu'ils s'entraînaient durement dans la forêt, la jeune princesse Flamme, accompagnée de sa sœur aînée Hilda, toutes deux venues rendre visite au grand prêtre Dolbar.
           Immédiatement, ils tombèrent tous deux sous le charme de la petite princesse aux boucles couleur soleil, et tournèrent alors, et ce même s'ils n'en étaient aucunement conscients, une des pages les plus importante de leur existence: celle de leur Amitié...
           Très vite, ils devinrent, en cachette, les amis de la tendre Flamme qui semblait apprécier leur compagnie à tous deux, ses "beaux chevaliers", comme elle avait l'habitude de les appeler.

           Tout aurait pu se dérouler de la meilleure façon si soudainement, la petite princesse ne s'était mise à accorder au doux Haagen qu'elle préférait à l'impétueux et parfois agressif Uller, une place de choix dans son cœur...
           Petit à petit, le joyeux trio se transforma en simple duo "Flamme-Haagen", au plus grand désarroi de Uller, qui de ses yeux d'enfants, ne comprenait plus rien à tout cela...

"Mais...Et moi? Quel est ma place? Ne me vois-tu pas Flamme? Pourquoi ne me regardes-tu plus avec les mêmes yeux? Pourquoi n'ai-je plus droit à tes sourires?" en venait à se demander le jeune garçon aux cheveux ébène.

           L'incompréhension, peu à peu, fit place à la colère, à la rage puis à la haine, qui vint grandir en lui comme un cancer en pleine métastase...

"Elle le préfère... Lui qui est si faible! Elle le préfère à moi, qui suis pourtant le plus fort! Elle n'en a pas le droit! Elle se trompe!" se criait-il souvent à lui-même, comme pour chercher, en vain, une explication à son sort.

           Jour après jour, Flamme se détachait de lui et lui s'éloignait de son meilleur ami, qu'il jugeait responsable de son malheur.

           Les deux frères, alors, au grand dam d'Haagen, devinrent des rivaux, des ennemis, nourrissant l'un envers l'autre la plus franche des hostilités.
           Puis Haagen, à la demande de Flamme et grâce aux relations de cette dernière, gagna le palais, où les nobles gardes le prirent sous leur aile, le traitant avec respect, comme un véritable petit homme; alors que de son côté, Uller devait supporter les sempiternelles sautes d'humeur de ces rustres qui se plaisaient à le malmener, rendant son sort plus détestable encore...
           Et alors que Haagen, en la personne de Siegfried, un jeune garçon, orphelin comme lui, et qui recevait lui aussi un entraînement guerrier des plus éprouvants, trouva un véritable ami, Uller s'enfonça peu à peu dans la solitude et l'aigreur, sentiments qui nourrissaient, de jour en jour, sa haine et sa colère...

- Ce n'est pas pour te chercher querelle que je suis aujourd'hui venu te trouver Uller... ajouta Haagen.
- Tiens tiens... voilà qui est fort surprenant... Dans ce cas que me vaut donc ta visite?

           Haagen se tut quelques instants, attendant de longues secondes avant de répondre, puis lâcha:

- Flamme est revenue... Elle est ici, au palais...

           La mine provocante de Uller sembla se décomposer.

- Comment? Mais... depuis quand...?...
- Elle est arrivée il y a de cela plusieurs jours... Tu l'aurais su si tu ne passais pas ton temps à traîner aux limites de notre royaume, pourchassant les dissidents, comme tu aimes à le faire...

"Ainsi la princesse Flamme est de retour parmi nous..." se dit intérieurement Uller.

           La nouvelle venait de tomber tel un couperet, tranchant là net sa belle assurance. Il avait cru, durant ces deux dernières années, s'être affranchi de l'attraction que la jeune fille exerçait sur lui mais, à en juger par l'effet qu'avait eu sur lui cette information, cela n'était pas le cas. Son cœur se serra à la seule idée qu'elle puisse être non loin, toute proche et que la seule personne dont elle désirait la compagnie était cet idiot d'Haagen.
           Désemparé, sous le choc, mais ne tenant pas à montrer quelque faiblesse que ce soit à son rival, il fit mine de n'en avoir cure, et c'est d'un air blasé, indifférent, qu'il rajouta:

- Elle est ici... J'en suis fort aise... Que veux-tu que ça me fasse? T'attends-tu à ce que je fonde en larmes peut-être? Tout le monde n'est pas aussi mièvre que toi mon cher petit frère.
- Je tenais simplement à t'en informer, c'est tout...
- Tu veux dire que tu as fait tout ce chemin pour me dire ça?!? Quelle charmante intention! Hahahahaaaa! s'esclaffa Uller, se portant la main à son ventre, simulant par là un fou rire des plus pitoyables.
- J'ai pensé que tu aimerais peut-être la voir... après tout ce temps.
- La voir? Je ne crois pas avoir un jour le cœur de revoir cette petite enfant gâtée qui s'est un jour détourné de moi, au profit d'un lâche, tout juste bon à cirer les bottes de ses messieurs les gardes royaux! cracha Uller, un sourire mauvais sur le visage.
- Fais comme bon te semble, lui répondit doucement Haagen, lui tournant le dos pour s'engager dans la direction opposée, par là où il était venu.
- Attends! Ou vas-tu comme ça?!? Je n'en ai pas fini avec toi!!! hurla Uller.
- Moi, si... dit calmement Haagen, sans se retourner...

           Uller, sans dire un mot de plus, regarda celui qui avait été son frère s'en aller, aussi silencieusement qu'il n'était apparu, puis serra les poings aussi fort qu'il le pouvait avant de se promettre à lui-même de faire payer un jour celui qui l'avait fait tant souffrir...

"Tu peux t'enfuir si ça te chante Haagen, mais le jour viendra où toi et moi devrons régler cela une bonne fois pour toutes... Je te ferai alors regretter de m'avoir tout pris!"



"Moi qui n'ai rien..."



Un feu ardent brûle en mon âme,

La rage est mon ichor,

Mon cœur en proie aux flammes,

Hurle et hurle encore...


Il ne me reste plus rien,

Je ne comprend pas pourquoi,

Me suis-je égaré du chemin?

Pourquoi n'y ai-je pas droit?


Même père, même pleurs et même liens,

Lui qui a tout, et moi qui n'ai rien,

Même terre, même mal, une promesse commune,

Tout ce que je demande est un rien de fortune...


Une peine sans nom s'immisce en mon sang,

Elle m'a abandonné,

Mon cœur saigne et je mens,

Pour lutter et lutter...


Le voilà qui m'a tout pris,

Jusque dans mon Amour,

J'ai beau me perdre en vains cris,

Votre cœur reste sourd...


Même père, même pleurs et même liens,

Lui qui a tout, et moi qui n'ai rien,

Même terre, même mal, une promesse commune,

Tout ce que je désire est un rien de fortune...



Uller



           Nordr se releva rapidement et se rhabilla tout aussi vite, passa une main dans ses cheveux ébène et déglutit avec force. Ses traits étaient alors tirés, comparables à ceux d'un montagnard après avoir gravi une trop haut pic.

- Ainsi, il n'y a rien à faire...? demanda-t-il doucement, sur un ton monocorde, sans passion aucune.
- Non, je le crains... lui répondit Hel, caressant son épaisse et longue natte blanche qu'il avait ramené devant lui, par dessus l'une de ses épaules.

           Le Godhar (11), lui aussi, semblait éreinté, sans doute les efforts qu'il avait dû fournir pour tenter de soigner celui qui était venu le trouver avait dû le marquer plus qu'il ne l'aurait cru possible. Et c'est avec douceur qu'il reprit:

- Malgré tous mes talents de guérisseur et même la magie curative que je tiens de mes ancêtres, je n'ai pu t'accorder aucune aide mon ami... j'en suis désolé...
- Je ne t'en blâme pas chaman, n'aie crainte... Tu as fait là ton maximum et je t'en suis infiniment reconnaissant... ajouta celui que l'on avait coutume d'appeler, ici, à Asgard, le "guerrier légendaire".
- Il s'agit là d'une tumeur des plus fourbes... et jamais, avec le pauvre matériel dont je dispose ici, je ne me permettrais de tenter quelque opération... Ce serait pure folie... souffla Hel avec amertume.

           Les yeux comme vides, Nordr se mit à fixer la cime des arbres, millénaires, qui les entouraient, et à ses oreilles vinrent pleurer et gémir une multitude de petites voix, sourdes et chargées de peine.

- Les entends-tu légendaire héros? lui demanda Hel.
- Oui, et c'est comme s'ils étaient tout près... j'entends chacun des mots qu'ils prononcent...
- Je ne te le cacherai pas, continua le Godhar, entendre aussi distinctement leurs voix, pour un non-initié, est signe de mort... une mort imminente...
- Et bien soit, si c'est là la volonté d'Odin, je m'y soumets... Et c'est avec impatience que j'attends que ce dernier m'invite à sa grande table pour honorer son banquet.
- Mais cependant, il arrive que les esprits se trompent... Et si malheureusement, je ne dispose ni des compétences ni du matériel pour t'extraire ce mal, il y a, en dehors de nos frontières, des personnes qui, j'en suis certain, en sont tout à fait capables... rajouta posément, comme à son habitude, le calme jeune homme aux cheveux blancs.
- Non, je ne peux, et surtout en ce moment, me permettre de m'éloigner...
- Je peux alors te proposer ceci... continua Hel, tendant à Nordr un petit sachet semblant contenir quelque poudre ou autres graines.
- Qu'est-ce? lui demanda le guerrier.
- Il s'agit de poudre d'arnica... A défaut de te guérir, elle te protégera de la douleur qui vrille ton cerveau...
- En d'autres termes, c'est une sorte de drogue... comprit Nordr, qui plissa soudain les sourcils.
- C'est vrai... C'en est... Elle possède un puissant effet émollient, voire anesthésiant, mais en revanche, elle t'affaiblira peu à peu... t'ôtant jour après jour cette force légendaire pour laquelle on te glorifie encore aujourd'hui... lui avoua le chaman.

           Nordr, alors, un doux sourire sur le visage, se contenta de refermer la main de l'ermite sur le petit sachet qu'elle contenait.

- Tu refuses donc même cela? Te rends-tu compte que bientôt, la douleur sera à un tel point insupportable, que tu te maudiras pour avoir repoussé cette aide? s'étonna Hel.
- Je le sais... Mais je ne puis me permettre, une fois encore, de voir mes forces décroître... J'ai encore, avant de partir, une mission des plus capitales à accomplir, une mission à laquelle je ne dois pas faillir... expliqua Nordr.
- Alors sache, fils d'Otmar, qu'il ne te reste, tout au plus, qu'entre dix et quinze jours... Passé ce délai, le mal qui te ronge viendra s'immiscer en chaque fibre de ton être, puis tu mourras, les yeux à jamais recouverts par l'épais voile sombre de la Mort...
- Dix jours... C'est bien assez... Bien assez pour lui léguer mon héritage... pour lui enseigner sa toute dernière leçon... murmura Nordr.
- De quoi es-tu donc en train de parler? Ferais-tu allusion à ce Siegfried, ton élève? demanda Hel, la curiosité piquée.
- Hum... Ahaha! On te dirait clos et sourd à tout ce qui t'entoure, Hel fils de Kel, mais ton ouïe est plus fine que celle d'un renard! Je vois que te cacher mes doutes et mes inquiétudes serait vain, je le crains... s'amusa Nordr, cherchant ainsi à ne pas se laisser abattre davantage.
- Moi aussi, tout comme toi Nordr, j'ai perçu cette puissante énergie négative qui semble se plaire à étouffer nos cœurs... je ne sais encore de quoi il va en retourner mais... je sais cependant que quelque chose d'important se prépare...
- C'est justement de ça dont je voulais parler... Nous, peuple d'Asgard, allons devoir faire un choix... Et c'est de ce choix, dont va dépendre notre futur, à tous... poursuivit le guerrier, un air des plus inquiets sur le visage.
- De sombres forces semblent planer au dessus de nos têtes... je les sens tâcher de nous attirer à elles... Qui sait ce qu'il va advenir de notre Royaume? Et surtout de notre peuple, qui chaque jour un peu plus, s'enfonce dans la misère et la mort...
- Tout comme toi, je ne saurais le dire... La seule chose que je sais est qu'Asgard s'apprête à vivre de bien tristes moments... continua Nordr, qui semblait tout de même en savoir plus qu'il ne voulait l'avouer.
- Les esprits, eux, sauront me dire ce qu'il en est... du moins je l'espère...

           Nordr fit un pas en avant, et l'air grave, il rajouta:

- Que nous réservent donc les Dieux? Que nous ont-ils préparé, quelque part, de leur mystérieuse retraite?
- En tout cas, Nordr, légendaire héros, veille à t'économiser... Le mal qui te dévore, lui, ne fera pas autant de mystères que Vanes, Ases, et Géants...

           Sur ces mots, les deux hommes fermèrent les yeux et se turent... le silence, en un tel moment, valait sans doute mille fois mieux que n'importe quelle parole...



           Avec rapidité, il vint se placer contre le rebord de la grande fenêtre qui donnait sur la cour intérieure, en écarta subrepticement l'épais rideau de velours et jeta à travers un furtif coup d’œil. Plus que tout, il cherchait surtout à rester discret, sans doute ne tenait-il pas plus que cela à attirer l'attention.
           Soit, il était le Grand prêtre d'Odin depuis bien des années à présent et il pouvait aller et venir, à travers les couloirs de son immense palais sans jamais en être inquiété mais ce qu'il ne voulait surtout pas que l'on sache, c'est l'étrange cérémonial auquel il allait procéder...
           Au dehors, une foule de valets et autres sujets s'affairaient dans une cohue des plus actives, tels des fourmis se pressant à satisfaire leur reine, en vue de l'immense fête, donnée en l'honneur des princesses Hilda et Flamme, de retour au "pays"...
           La "Grande fête", comme tout le monde s'était mis à l'appeler, promettait d'être grandiose et nombreuses étaient les personnes, et ce même si elles étaient toutes issues des couches supérieures de la société Asgardienne, à y avoir été conviées.
           Les cartons d'invitations, par milliers, avaient été distribués aux plus "méritants", comme l'aimait à le souligner Dolbar, même si pour lui, le terme "méritant" ne revêtait pas exactement le même sens que pour la plupart des gens.
           Un magnifique bal, auquel participerait bien sûr la princesse Hilda et son cavalier, en serait, à n'en pas douter, la principale attraction, et ce même si les organisateurs avaient d’ores et déjà prévu de mettre les petits plats dans les grands et de proposer, outre un décor digne des plus grandes soirées mondaines, un buffet absolument pantagruélique.

"Voilà qui est parfait... Les préparatifs de cette stupide soirée accaparant toutes leurs pensées, ces idiots ne chercheront pas à venir de trop près mettre leur nez dans mes affaires... Quant à la princesse Hilda, sa jeune sœur et leurs imbéciles de chevaliers servants, il sont bien trop occupés eux aussi à folâtrer comme les sales gamins qu'ils sont restés! Ahahaha! " se murmura-t-il à lui-même, alors qu'il se détournait de la fenêtre, pour se diriger vers une autre pièce, au fond du sombre et profond couloir dans lequel il se trouvait.

           Alors qu'il se rendait, de sa démarche de mort-vivant, vers la porte en question, il croisa un domestique, la mine déconfite, et qui s'était sans doute assoupi dans quelque recoin d'une des nombreuses pièces sur lesquelles donnait l'allée. Les yeux embués, ce dernier croisa le regard du prêtre, dur et froid, sombre et figé...
           Immédiatement, l'homme détourna le regard, sous peur d'offenser son "maître", celui qui lui offrait protection, nourriture et confort, en échange de ses maigres services.
           Etonnamment, le grand prêtre, de stature bien plus imposante, vint poser sa main gauche, large et puissante, même si terriblement osseuse, sur la frêle épaule de l'homme, ce qui eût pour effet de tirer à ce "larbin" un léger frisson.

           Et c'est d'une voix vibrante, bien que ténue, qu'il lui souffla ceci:

- Tu tombes bien valet... Il me fallait justement quelqu'un pour porter cet ordre...
- Je vous écoute maître... répondit timidement l'homme, tout tremblant, impressionné comme il l'était par cet énigmatique et puissant personnage, qui s'adressait, après bien des années de service, pour la toute première fois à lui.
- Fais savoir à tous que durant les deux prochaines heures, je tiens absolument à ne pas être importuné, par qui que ce soit d'ailleurs, car il va me falloir tout le calme et toute la concentration possible pour pouvoir converser au mieux avec le Seigneur Odin... continua Dolbar.
- Bien, bien maître, il en sera fait selon vos désirs... Vous pouvez aller tranquille mon seigneur... lui assura le larbin.
- Répète aussi à qui veut l'entendre que quiconque viendra briser le calme de ma retraite aura à répondre de sa faute devant Odin lui-même... finit le prêtre.

           Et c'est à nouveau à pas lents que, sans dire un mot de plus, il laissa le domestique pour finalement vaquer à ses occupations...



           Etirée de tout son long, la jeune femme, de doux et coulés mouvements des doigts, repoussa le petit chaton , qui revint à la charge, se cambrant sur ses pattes arrières et gonflant le torse, tel un lion qui, pour la possession d'un territoire ou d'une femelle, en combat un autre.
           Ses longs cheveux noirs lui retombant sur une majeure partie du visage, et notamment les yeux, elle releva rapidement sa tête en arrière, ramenant, d'un vif mouvement, son épaisse chevelure dans son dos.
           Le chaton, effrayé, descendit aussi sec du grand lit aux draps de soie.

           Elle n'avait pas pour habitude de rester dans sa chambre, sur sa couche, en tenue plus que légère, et à paresser ainsi, jouant avec Edda, la petite chatte qu'elle avait récupéré au cours d'une mission...

           Elle n'était pas ce qu'on pouvait appeler une femme d'intérieur, loin de là même.

           Il lui fallait en fait les grands espaces, les courses poursuites, le tumulte des combats... Jamais elle n'avait accepté de devenir une de ses "mijaurées", comme elle aimait à les appeler, qui passaient leur temps à discuter, et à boire du thé, recevant moult invités à longueurs de journées, le corps serré et endolori dans ses lourdes et inesthétiques robes à corset...
           Elle, avait choisi de vivre, et non de faire semblant... Elle avait choisi d'aller au devant des choses et de ne laisser personne dicter sa conduite.
           Le cœur fier, elle s'était juré de devenir l'égale de ces hommes, de ces guerriers qui faisaient la fierté de son peuple...

           En elle brûlait un feu intarissable, que même toute la neige et tous les blizzards de la Blanche ne pourraient parvenir à éteindre...

           Et c'est ce feu qui la poussa, un jour, alors qu'elle avait peut-être à peine huit ans tout au plus, à imiter ces combattants, qu'elle voyait battre des poings et des pieds, manier l'épée et se rompre aux rudiments du combat, lorsque, en compagnie de son père, célèbre architecte, bâtisseur de la plupart des camps d'entraînement du royaume, elle venait admirer le travail de ce dernier.
           Rares étaient les jeunes femmes qui, comme elles, décidaient de renoncer à tout pour mener une telle vie, faite de danger, de violence, de sang... et de pleurs...

           Oui, de pleurs... car si extérieurement, elle paraissait robuste, inébranlable, infiniment fière, elle était à l'intérieur des plus fragiles...
           Ses désirs de jeune fille, malgré son statut de guerrier, restaient néanmoins présents et peut-être même plus que tout, elle désirait une chose: être aimée...

           L'Amour... Voilà bien un sentiment qu'elle ne connaissait que trop bien... même si elle n'en avait toujours pu en saisir qu'une des deux faces...
           Depuis ce fameux dix septembre, d'il y a deux ans maintenant, elle avait plongé dedans... comme aspirée, happée, à travers un tourbillon sans fond...
           Et ce tourbillon avait un nom: Nordr, le brillant leader de l'unité Vulkan, dans laquelle, à force d'efforts et d'obstination, elle était parvenue à entrer...

           Cette unité très spéciale, aussi appelée « Force » Vulkan, était réputée pour être la plus efficace de toutes les unités de choc du royaume, spécialisée dans l'éradication de tout débordement causé par des individus ayant quelque connaissance de leur propre cosmos et trop puissants pour être matés par les autres troupes du palais, dites plus ordinaires et Nordr, le légendaire héros, celui qu'on disait capable de tous les exploits, en était le digne chef, depuis la mort de son fondateur: le guerrier Volken.

           Le jour où elle avait fait sa connaissance était resté gravé au plus profond de son être, comme si cela s'était passé le jour précédent, comme si elle l'avait rencontré peu de temps auparavant.
           Guerrière confirmée, jalousée des plus grands combattants du royaume, c'est Dolbar lui-même qui lui avait alors proposé d'intégrer l'unité Vulkan, alors seulement constituée de Uul, de Luung, de Eldir et de Hermod, et qui l'avait présenté à son chef, Nordr, celui dont on comptait les exploits jusqu'à la lointaine Friidgard...
           Immédiatement, sans même plonger ses yeux dans les siens, elle sut qu'il était celui qu'elle aimerait toujours... celui pour lequel se battre deviendrait une "fête".
           Les premiers mots, alors, qu'il lui avait adressé, eux aussi, étaient restés à jamais incrustés en son cœur:

"Voilà donc cette fameuse combattante, qui est sur toutes les lèvres... Si je n'avais pu en juger par moi-même, j'aurais pensé que toutes ces rumeurs à propos de son éclatante beauté ne pouvaient qu'être exagérées, mais là..." avait-il dit, s'inclinant légèrement devant elle.

           Ces quelques mots avaient suffi à la troubler, elle qui rivalisait de force et de caractère avec les pires de toutes les brutes, elle qui était parvenu à dompter la foudre et le tonnerre.
           Depuis, chaque instant qu'elle passait auprès de celui dont elle était tombé amoureuse la ravissait et remplissait son cœur, à première vue dur et impénétrable, d'une joie sans bornes.

           Mais ce jour-là, il n'était pas là, parti, disait-il, "rendre visite à un ami" , quelqu'un avec qui il devait s'entretenir...
           La belle Sif n'avait pas cherché à le suivre car elle savait très bien qu'il n'aurait pas accepter qu'elle l'accompagne.
           Et après tout, était-ce nécessaire?
           Non bien sûr, elle savait Nordr plus solide que le bronze et plus sage que le frêne... Rien de fâcheux ne pourrait lui arriver...cela, elle en était convaincue...
           Elle avait alors profité de l'absence de son chef pour s'éloigner à son tour de ses quelques compagnons...
           Bien sûr, elle appréciait leur présence à tous, ses partenaires, ses amis, ses frères...
           Au fil du temps, elle avait fini par les accepter, et même à les aimer, même si cela avait été difficile au début ...

           Ensemble, ils formaient comme une sorte de clan, de petite famille, dont Nordr serait le père, Hermod l'oncle, Eldir le Grand père, Uul et Luung les fils arrogants, et Siegfried le petit dernier, le cadet...
           Ce dernier, d'ailleurs, semblait avoir plus de mal à s'intégrer à l'équipe qu'elle n'en avait jamais eu... car les autres, se montraient souvent méfiants à son égard... mais après tout, cela était peut-être dû au recul que faisaient naître à leurs yeux le jeune âge et la relative inexpérience du jeune homme...

           En tout cas, cet après midi là, elle avait choisi de le passer seule... pour faire le point sur bien des choses... comme sa condition de femme, son travail, son devoir, son avenir, et bien entendu l'homme qu'elle aimait...
           Lourdement, elle laissa retomber sa tête sur le matelas, frottant sa joue contre le tissu, puis bailla...

"Décidément" pensa-t-elle, "se retrouver seule avec ses pensées n'a rien de bien excitant..."

           Sans un bruit, Edda sauta à nouveau sur le lit...
           Au moins le petit animal lui tiendrait-il compagnie... car même si la belle avait décidé, en cette froide journée, de rester à l'écart des autres, elle savait que sa jeune chatte serait un remède efficace contre l'ennui...



           Dolbar déglutit avec force alors que les trois mystérieuses silhouettes qu'il avait invoqué venaient d'apparaître derrière une des imposantes colonnes de la salle des rituels...
           Déjà, il avait eut à faire appel à elles, lorsqu'il était plus jeune, et qu'il avait cherché, et cela par tous les moyens, à devenir prêtre...
           Bien que dissimulées dans l'ombre, il n'eut aucun mal à se rendre compte que même malgré toutes ces années, elles n'avaient en rien changé...

"Enfin, quoi de plus normal pour des déesses..." pensa-t-il tout haut.

           Elles se tenaient là, côte à côte, comme dans ses souvenirs...

           Sans difficulté, il remarqua rapidement la plus petite d'entre elles, mais aussi la plus âgée... :

- Dolbar... Mon bon Dolbar... Voilà bien des années que nous ne nous étions vu... grommela-t-elle, d'une voix rocailleuse. _En toute franchise, répondit-il, j'aurais préféré me passer de vos services mais... je m'en vois obligé...
- C'est vrai... Ne dit-on pas, après tout: "On ne survit pas d'un soir au verdict des Nornes (12)" ? le coupa une des autres silhouettes.

           Lorsque celle-ci fit un pas en avant, le prêtre se rendit compte qu'il s'agissait de celle que l'on appelait Verdhandi, le Présent.
           Contrairement à sa sœur, Skuld, le futur, qui se plaisait, pour converser avec les mortels, à leur apparaître sous la forme d'une vieille femme rabougrie et voûtée, Verdhandi avait dans le port quelque chose d'incroyablement féminin et d'infiniment attirant.
           Ses longs cheveux d'argent, ondulés telles les neuf vagues, mères du Dieu Freyr, ses traits des plus délicats, ses lignes des plus élancées et son ample robe de crêpe brune aurait fait naître le désir en le plus inflexible des hommes.

           C'est avec un sourire des plus charmants qu'elle continua:

- Mais, si mes souvenirs sont exacts, nous t'avons toujours été de bons conseils n'est-ce pas grand prêtre?
- Je ne peux m'en défendre Norne... Cependant, bien des pauvres mortels se sont retrouvés damnés pour vous avoir demandé conseil... ajouta-t-il.
- Cependant, tu ne m'as pas l'air d'être de ceux-là mon ami... lui susurra à l'oreille la troisième, venant, en gestes coulés, presque obscènes, se coller à lui.

           On appelait celle-là Urdhr, le Passé, et transpirait, plus encore que sa sœur Verdhandi, une sensualité des plus troublantes.
           Son jeune corps, vigoureux et doux, se laissait facilement deviner à travers la fine robe de gaze noire qui embrassait avec harmonie les courbes gracieuses et généreuses de son corps de jeune fille. Quant à ses magnifiques cheveux noirs, peignés et brillants, ils auraient pu sans mal arracher un puissant cri d'admiration à la plus muette de toutes les créatures de ce monde.

- Jadis, avide de reconnaissance, mais surtout de pouvoir, tu as fait appel aux trois sœurs, aux trois maîtresses de la destinée. continua-t-elle à lui murmurer. Nous t'avons alors guidé et offert ce que tu recherchais le plus...
- Comment, après cela, peux-tu encore douter? cracha Skuld, dont les longs et drus poils blancs qui ornaient son menton semblaient gigoter, tels les pattes d'une araignée, tombée sur le dos...
- Laissez-le donc tranquille, les interrompit Verdhandi. Le pauvre homme vient quémander notre aide, et voilà que vous cherchez maintenant à lui faire peur!
- Il est vrai que cela fait bien longtemps que nous n'avions eu à nous mêler d'histoires de mortels...admit Skuld, se frottant les mains.
- Et puis tout cela est si excitant... ces humains sont si drôles... Surtout depuis que le Père les a abandonnés... Hahahaha! s'esclaffa Urdhr, portant sa fine et longue main à sa bouche grande ouverte.

           Le prêtre d'Odin se sentit défaillir au moment où l'haleine de la déesse, délicieuse et rafraîchissante, vint titiller ses narines, faisant naître en lui un désir des plus enivrants...

- Savez-vous ce que je viens de lire en son esprit? demanda la plus jeune des trois déesses à ses deux aînées, alors qu'elle avait porté ses longs doigts blancs aux tempes humides et vibrantes de celui dont elle cherchait le contact.
- Non, qu'y as-tu lu gardienne de la Mémoire? l'interrogea le Présent, curieuse.
- Avec l'aide du Ténébreux, et sans en avoir tenu informé le Père, le petit prêtre cherche à réveiller les vingt-cinq conquérants... continua Urdhr, le sourire aux lèvres.
- Voyez-vous cela! Comme c'est amusant! Faire assassiner une enfant dans le but de devenir prêtre à sa place est une chose, mais tromper le Borgne, pactiser avec le Perfide et réveiller les guerriers de la légende en est une autre! vociféra Skuld, hilare.

           Soudain, agacé, Dolbar se releva, se dégageant de la voluptueuse étreinte qu'exerçait la plus jeune des trois sœurs sur lui.

- Il suffit! Je ne vous ai pas fait venir pour vous entendre me railler, femmes!
- Ooooh? Voilà que notre petit prêtre se fâche à présent... lança Urdhr, une moue d'enfant déçue sur le visage.
- Voyons Dolbar... ne tiens pas compte de ce que peuvent dire ces deux moqueuses... Elles manquent habituellement tant de distraction, tu sais... ajouta Verdhandi de sa voix douce, presque maternelle.
- Mais il y a que le temps presse! Et je n'ai guère le temps de me perdre en babillages inutiles et stériles! s'écria le prêtre, exaspéré au possible.
- Alors pour l'amour du ciel humain, dis nous, à la fin, ce que tu attends de nous! vociféra la vieille Skuld, elle aussi terriblement agacée par cet insolent humain qui commençait à lui faire perdre son temps.

           Dolbar tâcha de retrouver son calme. Après tout, il était en train de traiter avec des Déesses et c'est avec tact qu'il devait mener cet entretien... Car c'était de cette entrevue, dont allait dépendre le bon déroulement de ses noirs desseins...

- Allons Skuld, lui répondit Urdhr, toi qui tisse à ta guise les fils du futur, tu dois bien le savoir n'est-ce pas?
- Mmmmm... En tout cas, ce que je vois n'est guère réalisable... du moins pour un mortel... grommela le Futur.
- Réveiller les héros de la Légende? Est-ce cela que vous qualifiez de "guère réalisable"? s'étonna Dolbar.
- J'ai dit "guère réalisable", mais pas "impossible"...Saisis-tu là toute la nuance humain? rajouta-t-elle sèchement, comme pour réduire les ardeurs de ce petit impudent qui venait mettre en doute ses dires.
- Si jamais Odin venait à l'apprendre, un million d'existences à brûler au plus profond du brasier du Muspellheim ne seraient pas suffisantes à te faire expier ta faute petit prêtre... s'amusa Urdhr.
- Je me fiche bien des sanctions! Le peuple se meurt, et je suis le seul à pouvoir le libérer! s'exclama Dolbar, le poing en avant.
- Voyons... Est-ce là toute la vérité petit prêtre? Est-ce là la véritable raison de tout cela? lui demanda, de sa voix suave, la belle Urdhr.
- Il est inutile de chercher à nous tromper Dolbar, renchérit Verdhandi, qui du regard, balayait la gigantesque voûte de l'immense et sombre salle dans laquelle ils se trouvaient tous. N'oublie pas que nous sommes des déesses, et de surcroît les manifestations permanentes de la mémoire, du présent et de l'avenir...
- Tu te moques bien du peuple aujourd'hui, comme il y a vingt ans, tu te moquais éperdument de mettre fin aux jours d'une pauvre enfant qui ne t'avait encore rien fait... siffla le Futur.
- De toute façon, nous ne te jugerons pas Grand Prêtre... car là n'est pas notre rôle... ajouta le Présent.
- Grrrr... Et alors? Quel mal y a-t-il à vouloir quitter cette terre maudite, abandonnée même des dieux, qui jadis la peuplaient? interrogea Dolbar, qui dut bien admettre que ces trois-là ne se laisseraient pas, comme les autres, duper aussi facilement...
- Personnellement, je n'y vois aucun mal... C'est pourquoi je t'apporterai mon aide, petit prêtre... chantonna le Passé, guillerette.
- Il en va de même pour moi... Voilà bien des années qu'il ne se passe, parmi les hommes, rien de bien amusant...continua Verdhandi.
- Bien! grogna Skuld. Puisque vous avez décidé toutes les deux de lui tendre la main, je me vois contrainte, à mon tour, de m'incliner.
- Tu entends ça Dolbar? lui demanda Verdhandi, rieuse. Nous allons t'exaucer...

           L'homme émit un discret sourire. Convaincre ces trois "sorcières", était toujours une tâche des plus difficiles... même si, plus âgé et plus expérimenté qu'il y a vingt ans, il n'avait pas éprouvé autant de mal à se faire entendre que lors de leur dernière rencontre...

           D'un geste synchronisé, les trois femmes lui tournèrent le dos, et dans l'air, laissèrent échapper de sombres murmures, tristes paroles, échos de leurs plaintes offertes aux esprits du Destin.
           Le sol, lentement, se mit à se fissurer et à se craqueler, alors que des murs, semblaient suinter un épais liquide à l'odeur sucrée...
           Des volutes de fumée, glaçantes, se répandirent dans l'atmosphère qui se fit alors chargée, presque suffocante.

           C'est Urdrh, le Passé, qui la première, se retourna, plongeant son regard, à présent blanc, dépourvu de pupilles, dans les yeux de l'homme qui venait leur demander conseil:

- A leur naissance, les Etoiles les ont choisis, comme elles le font à chaque génération, en cas de guerre... Alresha la belle à choisi pour parure un joyau de pureté, un rubis de douceur et de courage, à l'âme noble et aux traits tendres... Sirius la téméraire s'est porté sur la revanche et la haine, trouvant en elles un incisif allié... Et alors qu’Achernar se perd en magnifiques bouquets, Sham voit en la virago une enveloppe de choix... La rapide Altaïr, passe les dimensions et l'espace, tandis qu'Alphecca tente de séduire le frère valeureux... Capella, clairvoyante, a fermé les yeux, et Canopus, flamboyante guerrière, nourrit le bras, épris de justice... Quant à Deneb, c'est sur le voyageur, que son regard s'est porté ...

           Puis c'est Verdhandi, le Présent, qui prit la parole, et c'est de sa voix posée qu'elle ajouta:

- Men désire ton obédiant, la triste Sirrah celui qui parle aux morts, et Alnaïr le vengeur... Djenah exige le plus valeureux d'entre tous et Arcturus la brute... C'est dans l'épée qu’Atria a choisi de s'incarner et c'est sur le déchu, qu'Alphard a jeté son dévolu... Quant à Mira, c'est dans le dernier des nains qu'elle brillera...

           Pour finir, c'est Skuld, le Futur, qui à son tour, déclama ces quelques paroles:

- Les sept sont les plus difficiles à satisfaire... mais à force de questions, elles m'ont finalement révélé leurs choix... Dubbhe la toute puissante réclame le tueur de dragons, Merak le noble et courageux étalon et Phecda le plus robuste des cœurs... C'est sur le fourbe que Megrez s'est porté et Benetnasch la délicate désire une lyre pour la chanter... Allioth caresse les loups tandis que Mizar pleure des larmes de gel... Quant à Alcor, la délaissée, c'est dans l'ombre de sa jumelle, que tu devras la chercher...

           C'est avec la plus grande attention, que le prêtre tendit l'oreille aux énigmatiques paroles des trois Nornes, ces trois déesses, gardiennes du passé, du présent et du futur...
           Et alors que la pénombre qui avait envahit la pièce, semblait se dissiper peu à peu, leur regard se débarrassa de ce voile blanc et opaque, témoignage de l'état de transe, dans lequel elles venaient de plonger...

           Urdrh, en un geste rapide et gracieux, secoua la tête de gauche à droite, ballottant ses très longs cheveux noirs, comme la mer agitée secoue violemment les embarcations lorsque les vagues, hautes et coupantes, se mettent à danser...
           Verdhandi, elle, passa ses deux mains le long de ses hanches, puis de ses cuisses, lissant sa longue et ample robe de crêpe, alors que de son côté, Skuld, le Futur, poussait, du bout du maigre bâton de bois grâce auquel elle pouvait soulager ses vieilles hanches, une petite pierre, qui traînait par là...

           Dolbar ne put s'empêcher de sourire... C'est vrai... Quel étrange trio ces trois-là pouvaient bien former...
           Depuis les temps immémoriaux, elles se plaisaient à révéler, à qui faisait appel à elles, les fils du destin, les rouages de cette sombre mécanique que l'on appelait le Temps...
           Au fil des siècles, cependant, les mortels avaient fini par s'en méfier, car légion étaient les histoires d'humains ayant été cent fois maudits pour avoir fait appel à leurs sombres pouvoirs...
           Et peu à peu, inexorablement, toutes trois avaient fini par disparaître, du moins aux yeux des hommes, trouvant retraite en plein cœur du vénérable Yggdrasil, là où elles avaient élu domicile...

           C'est Skuld, la première, qui rompit le silence:

- Les esprits ont parlé... les "trois sœurs" ont dévoilé... A toi maintenant de savoir où aller...
- C'est de la justesse de tes déductions que va dépendre ton succès Dolbar... ajouta le Présent.
- Médite bien ces paroles petit prêtre... continua Urdrh, le saisissant par la taille, avant de le lâcher soudainement, pour se mettre à tournoyer sur elle-même, les bras levés, telle une ballerine en plein ballet.
- Je saurais saisir cette opportunité... Je sais à présent où porter mon regard... leur répondit Dolbar, satisfait.

           A ces mots, les trois mystérieuses déesses échangèrent un rapide regard, puis se sourirent de façon bien étrange, ce que le prêtre d'Odin ne remarqua d'ailleurs pas, trop aveuglé comme il l'était par ce trop plein de satisfaction qui le submergeait alors...
           Sans un mot de plus, elles disparurent dans un nuage de fumée tricolore, chargé de grains de poussières luisants, sur lesquels venaient se refléter la maigre lueur des quelques flambeaux qui brûlaient au mur...

           Dolbar fit alors un pas en avant, et c'est un brin d'acidité dans la voix qu'il siffla:

- Aaaah Nornes... Comme il est plaisant de voir, que même vous, terribles déesses, maîtresses de la Destinée, vous vous courbez devant moi, me donnant à chaque fois les clés de la victoire... et me rendant à chaque nouvelle occasion plus redoutable encore...

           En un magistral mouvement de cape, le prêtre se retourna, puis prit le chemin de la sortie.

"Bientôt, même les Dieux eux-mêmes, tapis au fin fond de leur triste cachette, devront se courber devant moi! Tous, sans exception, ne pourront que se plier à ma volonté! La volonté de Dolbar! Gwahahahahhhaaaahhahahahahaha!!!!!!!!" s'esclaffa-t-il intérieurement, alors qu'une terrible expression venait déformer, en un rictus des plus inquiétants, chaque muscle de son maigre visage.

           L'ère des Dieux était définitivement révolue... Le monde entrait de plein pied, dans celle de Dolbar...

           Une ère noire...


Fin de l'épisode 3...





( 1)

Buri, appelé aussi le "Géniteur" ou le "Père" était, tel Ymir, hermaphrodite. C'est pourquoi on dit qu'il a été capable d'enfanter sans aide aucune un fils, Bor, qui s'unissant à la Géante Bestla, devint à son tour le père des trois premiers dieux.



( 2)

Si Odin, Vili et Ve descendent de Bor, et donc de Buri, les Géants, eux, sont issus de Ymir, l'être primordial. Dès le commencement du monde, deux familles commencent déjà à émerger.



( 3)

Ymir, le tout premier des Géants, est né, lorsque les nuées froides issues des rivières Elivagar rencontrèrent les nuées brûlantes venues du Muspell, de gouttes de givres fondu. Il est donc non seulement le père de tous les Géants mais aussi le premier représentant de la race des Géants du givre.



( 4)

La mythologie nordique décrit neuf mondes différents: Muspellheim, fief du terrible Surtr, Niffelheim, où réside Nuddhog, Helheim, ténèbres réservées à ceux qui n'ont pas eu la chance de tomber au combat, Jotunheim, le pays des Géants, Asaheim, la terre des Ases, Vanaheim, le monde des Vanes, Alfaheim, territoire des Elfes, Svartalfaheim, où vivent les Trolls et les Nains, et enfin Mannaheim où s'entredéchirent les humains.

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( 5)

Cette créature est aussi appelée Jormungand ou aussi "serpent de Midgard". Rejeton de Loki et de la Géante Angrboda, une prophétie annonça qu'aux côtés de son frère Fenril et de sa soeur Hel, il apporterait la destruction chez les dieux, qui alors les séparèrent, à défaut de pouvoir les tuer.
Il fut jeté par Odin lui-même dans les profondeurs de la "Mer qui entoure la Terre", mais le petit serpent grandit tellement, qu'il finit par enserrer la Terre à son tour.
On raconte qu'au moment du "Crépuscule des Puissances", Jormungand déploiera ses anneaux et provoquera ainsi le chaos et la fin de la Terre. En attendant ce moment, il est, au même titre qu'Yggdrasil, le garant de l'équilibre et de la cohérence de notre planète.



( 6)

Au Walhalla, séjournent les guerriers morts au combats et choisis par Odin pour livrer bataille lorsque les Géants, au moment du Ragnarok, chercheront à défaire son empire. Magnifique palais, brillant comme de l'or, la Valhalle comporte cinq-cent quarante portes d'où se rueront les Einheriars, ces fameux guerriers morts au combat, afin de livrer une nouvelle fois bataille.



( 7)

En effet, chez les anciens scandinaves, la notion de destin était omniprésente. Jamais ils ne le refusaient. C'est sûrement pour cela que l'on raconte que ces vaillantes peuplades ne craignaient pas la Mort... Ils l'acceptaient, car de toute façon, la Mort n'était pas une fin en soi...



( 8)

Nom que l'on a coutume de donner à la "Bataille eschatologique" ou "Crépuscule des Puissances", cette grande guerre qui opposera les dieux du Nord à leurs rivaux, les Géants.



( 9)

Le suffixe "ide" a pour fonction d'éclairer le lecteur sur la parenté du personnage. Homère, par exemple, nommait fréquemment, dans l'Illiade, le héros Achille "Péléide", car Achille était l'illustre fils de Pélé.
Ici, si Zeus est désigné par le terme "Cronide", c'est bien sûr parce qu'il est le fils de Cronos.



(10)

L'on avait, dans le temps, coutume d'appeler "Uutgard" tout ce qui était extérieur à Midgard, l"Enceinte du Milieu".
Ici, bien sûr, il s'agit d'un pays frontalier à Asgard, avec qui d'ailleurs, les rapports semblent tendus...



(11)

Le Godhar ("Godhis" au pluriel) occupe la scène germano-scandinave bien avant et après le christianisme. Sorte de sorcier, magicien et guérisseur, on ne sait plus grand chose, aujourd'hui, de ses rituels. On sait cependant que cette sorte de chaman partageait notre monde en quatre plans distincts: le monde animal, végétal, minéral et humain, et qu'il s'accordait toujours en parfaite harmonie avec son environnement...
Lors des mauvaises chasses, des épidémies ou des mauvaises récoltes, le rôle du Godhar était d'aller visiter, en état de transe, les esprits, afin de négocier avec eux une éventuelle issue favorable.



(12)

Les trois Nornes, figures emblématiques de la mythologie nordique, restent des personnages emplis de mystère. On les dit Géantes, Fées ou bien déesses. Véritables manifestations du destin, Urdhr (ou "Urd"), Verdhandi et Skuld façonnent tous les moments de la vie des hommes.
Comme les Valkyries, elles participent au combat des guerriers et décident (notamment Skuld) du choix de ceux qui seront tués.



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de Kouro